Patrimoine culturel immatériel

Le repas judéo-alsacien du pays de HanauLe repas judéo-alsacien du pays de Hanau

  • « Comme gosse j’étais alsacien, et à la maison, j’étais forcément juif »
  • « Il faut que l’on arrive à conserver ce patrimoine qui est en voie de disparition »
  • « Je dis paix et tolérance, c’est deux mots clefs»

C'est quoi ?

Dans les traditions judéo-alsaciennes, la nourriture, étroitement liée à la célébration des fêtes, est porteuse du respect des traditions et de la transmission.

Les repas quotidiens sont plutôt sobres et essentiellement composés de mets milchig, lactés, de farine et de pommes de terre. En contrepartie, les repas du Shabbat et des différentes fêtes de famille sont composés d’une multitude de plats élaborés, riches en viandes, poissons et desserts. Certaines spécialités culinaires sont liées à des fêtes spécifiques : la viande fumée de Hanouca, la tarte au fromage de Chavouoth ou le morceau de boeuf à Pourim sont autant de liens avec les traditions ancestrales et gardent la saveur du pays natal pour ceux qui ont émigré.

Repas judéo-alsacien ©Ooh collective
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Le repas du Shabbat

« Dieu acheva au septième jour Son œuvre, qu'il avait faite, et Il S'abstint au septième jour de toute son œuvre, qu'il avait faite ». Genèse 2.2

Le repas du Shabbat est l’occasion hebdomadaire d’être ensemble, réuni autour d’une table, honorant les traditions dans le bonheur du partage en famille. L’hôte de passage et le pauvre y sont accueillis. De nombreuses interdictions et obligations sont à observer durant cette période. Nul ne doit travailler, toucher au feu, cuisiner ou écrire. Les repas sont préparés à l’avance. Aspersion d’eau sur les mains en signe de purification, bougies allumées pour apporter la paix, bénédiction des deux pains qui symbolisent l’abondance, prières et chants sont autant de rituels exécutés. Avant le repas, le père de famille bénit ses enfants et récite des proverbes en l’honneur de sa femme.

La nourriture abondante, plutôt carnée et grasse, est très élaborée et demande une vraie préparation ainsi que de longs temps de cuisson. Elle s’oppose aux repas simples et maigres de la semaine. Ces différences de repas entre sobriété et opulence marquent de façon symbolique le quotidien et les temps forts de la vie religieuse.

Les repas de fêtes, élaborés par la mère de famille, sont aussi une concrétisation du lien affectif qui la lie à son mari et à ses enfants.

En vue de la préparation du Shabbat et dans la mesure du possible, les femmes font leur marché dès le jeudi matin, l’après-midi étant consacrée à la confection des gâteaux. Elles préparent le repas du vendredi soir, mais aussi celui du samedi midi. « Ces mets étaient mis au chaud chez le boulanger. Dans certains villages, chacun possédait un Stobche, une sorte de fourneau en tôle dont l’intérieur était tapissé de briques. Le fourneau était chauffé au charbon de bois qui se consumait lentement. Le dessus était couvert d’une tôle sur laquelle on disposait d’un côté, le café pour le petit déjeuner du lendemain, et de l’autre la Gesetzti Supp et la viande destinée au repas du samedi midi. » (1)

Pain ©Ooh collective
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Les rituels extérieurs sont aussi importants que le sentiment intérieur. La fête se déroule dans la joie et la paix, les peines et les soucis sont laissés de côté. Dans le judaïsme, le système culinaire est codifié et la nourriture est célébrée religieusement tant par les choix des ingrédients, leur préparation que par les rites de consommation. Elle est un lien social et un lien avec Dieu.

La maison est nettoyée et préparée pour le repas. Sur la table, dressée d’une nappe blanche reposent des Berches, des pains au pavot, du vin cacher et un gobelet en argent pour le chef de famille afin qu’il dise la bénédiction sur le vin et le pain au retour de la synagogue.

Les prières et les chants retentissent tout au long de la fête et marquent par la sanctification de la nourriture, une célébration de Dieu.

Menu typique d’un vendredi soir (1):

  • Soupe aux quenelles (Marikknepfle) ou aux vermicelles (Fremselsupp)
  • Carpe à la juive ou brochet au court-bouillon
  • Rôti de veau ou viande de pot-au-feu avec raifort et moutarde
  • Ragoût de veau Kalbsvoresse accompagné de Berches frais
  • Tartes aux fruits

Recette de la Gesetzti supp du samedi midi (1) :

  1. Faire une soupe de pois cassés ou de haricots blancs.
  2. Ajouter une pomme de terre coupée en lamelles.
  3. Lorsque les légumes sont presque cuits, ajouter des saucisses ou de la viande.
  4. Poser le tout sur le Stobche jusqu’au samedi midi.

(1) Le Judaïsme alsacien, histoire, patrimoine, traditions. Sous la direction de Freddy RAPHAËL. Ed. La Nuée Bleue, 2003 ; page 89.

Ça se passe où ?

Maison du pays de Hanau ©Ooh collective
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La Pays de Hanau se situe dans le nord-ouest du département du Bas-Rhin, en Alsace. Né par arrêté préfectoral du 17 décembre 1992, le District du Pays de Hanau s'est transformé le 1er janvier 2000 en Communauté de Communes. La ville de Bouxwiller en est le siège. Après celle de Paris, la communauté juive d’Alsace est la plus importante de France. Malgré les évènements historiques douloureux, elle est essentielle à la richesse multiculturelle régionale.

Un brin d’évasion

La diète méditerranéenne, Espagne, Grèce, Italie, Maroc

Inscrit en 2010 sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité

« La diète méditerranéenne est un ensemble de savoir-faire, connaissances, pratiques et traditions qui vont du paysage à la table, y compris les cultures, la récolte ou la moisson, la pêche, la conservation, la transformation, la préparation et, en particulier, la consommation d’aliments. La diète méditerranéenne se caractérise par un modèle nutritionnel qui est demeuré constant dans le temps et l’espace et dont les principaux ingrédients sont l’huile d’olive, les céréales, les fruits et légumes frais ou séchés, une proportion limitée de poisson, produits laitiers et viande, et de nombreux condiments et épices, le tout accompagné de vin ou d’infusions, toujours dans le respect des croyances de chaque communauté. Mais la diète (du grec diaita ou mode de vie) méditerranéenne recouvre beaucoup plus que la seule nourriture. Elle favorise les contacts sociaux, les repas collectifs étant la clé de voûte des coutumes sociales et des événements festifs. Elle a donné naissance à un formidable corpus de savoirs, chants, maximes, récits et légendes. Elle s’enracine dans le respect du territoire et de la biodiversité, et assure la conservation et le développement des activités traditionnelles et de l’artisanat liés à la pêche et à l’agriculture dans les communautés méditerranéennes dont Soria en Espagne, Koroni en Grèce, Cilento en Italie et Chefchaouen au Maroc représentent des exemples. Les femmes jouent un rôle particulièrement vital dans la transmission du savoir-faire, dans la connaissance des rituels, de la gestuelle et des célébrations traditionnelles, et enfin dans la sauvegarde des techniques. »

Unesco. -La diète méditerranéenne. -[réf. du 24 août 2011], [en ligne], disponible sur internet : http://www.unesco.org/culture/ich/fr/RL/00437

Un brin d'histoire

Histoire des Juifs en Alsace

« Les Juifs d’Alsace, dont la présence sur le sol français est très ancienne, purent développer leurs activités au Moyen Âge et jouer un rôle économique non négligeable. Rendus responsables de la Peste noire, ils furent chassés des principales villes. La monarchie française facilita leur retour dans la province après 1648. Dispersés, à la veille de la Révolution, entre 160 des 1000 villages alsaciens, les Juifs sont très attachés aux observances rituelles. Ils parlent pour la plupart judéo-alsacien, formant une minorité spécifique dont l’éventail professionnel est limité. Le décret d’émancipation du 27 septembre 1791 leur donne les mêmes droits et les mêmes devoirs que leurs voisins chrétiens. Les Juifs d’Alsace ont désormais les potentialités pour une bonne intégration dans la vie socio-économique et politique de la région et du territoire. »

RAPHAËL , Freddy (sous la dir.). -Le Judaïsme alsacien, histoire, patrimoine, traditions. -Editions La Nuée Bleue, 2003, page 40

Un brin de poésie

BERCEUSE YIDDISH

« shlof, shlof, shlof !
der tate vet forn in dorf,
vet er brengen an epele,
vet zayn gezunt dos kepele!
shlof, shlof, shlof!
der tate vet forn in dorf,
vet er brengen a nisele,
vet zayn gezunt dos fisele!
vet er brengen an entele,
vet zayn gezunt dos hentele!
vet er brengen a hezele,
vet zayn gezunt dos nezele!
vet er brengen a feygele,
vet zayn gezunt dos eygele! »

Dors, dors, dors, ton père va aller au village
Il te rapportera une pomme et ta tête sera guérie.
Il te rapportera une noix et ton pied sera guéri.
Il te rapportera un canard et ta main sera guérie.
Il te rapportera un lapin et ton nez sera guéri.
Il te rapportera un oiseau et tes yeux seront guéris.

NATANSON, Mireille. -Berceuses yiddish, images d’enfances et miroir d’une culture perdue. -[réf. du 24 août 2011], [en ligne], disponible sur internet : http://d-d.natanson.pagesperso-orange.fr/berceuses_yiddish.htm

COMPLAINTE DU TSIGANE ALSACIEN (chant n°3)

D’sunn wéll noch nét schderwe
En demm nàsskàlde wàld ;
S’liècht hàlt noch ààn, es réngt mét de nààcht
Under de newwel-schlànge,
s’herz vun de glüèd schlààt geduldi widdersch
un glunzt ém schdélle kreis vum wénderôwefîr.

Claude VIGEE poète judéo-alsacien

Le soleil ne veut pas mourir encore,
dans la forêt froide et humide ;
la lumière se maintient encore, elle lutte avec la nuit
dans les serpentins du brouillard,
le cœur de la braise bat encore, patiemment,
et luit dans le cercle muet du feu de la nuit d’hiver.

Bibliotrutt. -L'Alsace dans la poésie de Claude Vigée. -[réf. du 24 août 2011], [en ligne], disponible sur internet : http://www.bibliotrutt.eu/artman2/publish/notes/V_comme_Vig_e_L_Alsace_dans_la_po_sie_de_Claude_Vig_e.php

©Ooh collective
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Petit abécédaire

ABLUTIONS : rituel de purification par l’eau qui se retrouve aussi bien dans le judaïsme avec les mikvé (pratiquées la veille des jours de fêtes, mais aussi lors de nombreuses autres occasions), dans l’islam (avant la prière, petites ablutions, grandes ablutions) que dans le christianisme sous une forme plus symbolique avec le baptême.

ABRAHAM : Patriarche des Hébreux (XIXe s. avant J.-C.), il est l’un des personnages majeurs des religions juive, chrétienne et islamique.

ACHILE(M) : de l’hébreu achilo, « repas », « manger » en judéo alsacien.

BENSCHE(N) : yiddish dérivé du latin benedicere qui signifie « prier après le repas, bénir ».

BOUGIES : elles symbolisent la paix dans la maison. Les bougies du Shabbat sont allumées par la femme de la maison peu de temps avant le coucher du soleil du vendredi, pendant qu’elle récite la bénédiction : « Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vetsivanou Lehadlik Ner Chel Chabbat Kodech » (Béni sois-Tu, Eternel notre Dieu, qui nous a sanctifiés par Ses commandements et nous a ordonné d’allumer les bougies du saint Chabbat).

FLEISHIG : aliments carnés

HALLELUJA : de l’hébreu hallelûjâh « louez Dieu »

KAÜSCHER : « pur, clair, net, sûr » en judéo alsacien.

KIDDOUCH : rituel de sanctification du Shabbat.

MATZE(N) : de l’hébreu massôth « pain sans levain, c’est le pain azyme mangé au temps de Pâques.

MILCHIG : aliments lactés

SHABBAT : septième jour de la semaine, marqué par l’arrêt du travail du vendredi soir au samedi soir.

Le principe d'un jour saint, consacré à Dieu où sont délaissées les activités quotidiennes, a été adopté dans toutes les religions abrahamiques (religions juive, chrétienne et islamique). D'ailleurs tous les textes sont d'accord quant au terme sabbat et à sa signification liée à la création des cieux et de la Terre.

« Souviens-toi du jour du repos, pour le sanctifier.
Tu travailleras six jours, et tu feras tout ton ouvrage.
Mais le septième jour est le jour du repos de l'Éternel, ton Dieu : tu ne feras aucun ouvrage, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni ton bétail, ni l'étranger qui est dans tes portes.

Car en six jours l'Éternel a fait les cieux, la terre et la mer, et tout ce qui y est contenu, et il s'est reposé le septième jour : c'est pourquoi l'Éternel a béni le jour du repos et l'a sanctifié. »
Exode 20:8-11

STÈLE DE NEPHTALI : Stèle de type médiéval au cimetière d’Ettendorf. Fils de Rabbi Eliezer Ha-Lévi, Nephtali est décédé en 1608.

Sur la pierre est inscrit l’épitaphe suivante :

Nephtali est une biche agile ; il apporte d'heureuses nouvelles.
Ici a été creusée une tombe pour Nephtali.
II a accompli la volonté de son Créateur, et rendit l'âme
A celui qui la lui donna, quand le soleil se coucha.
Et le Juste retourna en sa demeure.
II a plu à l'Eternel de reposer sur son front.
II se distinguait déjà par ses actions, l'enfant faible
et petit, âgé de six ans. Il était un Maître
par sa sagesse, grand par la connaissance de la Torah, comme s'il avait eu
vingt ans. Son nom: Nephtali, fils de Rabbi Eliézer
le Lévite, du village de Hatten, petit fils de
notre Maître le Rabbin de la Sainte Communauté de Neustadt. Il fut appelé
et monta dans la Yeshivah d'En-Haut dans la nuit
du 28 du mois de Tishri de l'année (désignée par la) Parshah: Noé
fut un nomme juste et intègre.
Que son âme soit réunie au faisceau des vivants.

©Ooh collective, Stèle de Nephtali
©Ooh collective, Stèle de Nephtali

STOBCHE : sorte de fourneau en tôle

TREIFE(S) : De l’hébreu terephah « interdit à la consommation », « impur » dans le sens d’une viande qui n’a pas été tuée selon les prescriptions rituelles.

Sources

RAPHAËL, Freddy (sous la dir.). -Le Judaïsme alsacien, histoire, patrimoine, traditions. -Editions La Nuée Bleue, 2003

RAPHAËL. F. -Jalons pour une histoire des juifs en Alsace. -[réf. du 24 août 2011], [document en ligne], disponible sur internet : http://www.revue-des-sciences-sociales.com/pdf/rss04-raphael&al2.pdf

Liens utiles

Site du Larousse en ligne : http://www.larousse.fr/

Site Communauté de Communes du Pays de Hanau : http://www.cc.pays-de-hanau.com/

Site du Pays de Hanau : http://www.tourisme-hanau-moder.fr

Site sur le chabad : http://www.fr.chabad.org/

Site du musée judéo-alsacien de Bouxwiller : http://judaisme.sdv.fr/today/musee/

Site sur le musée de l'image populaire Pfaffenhoffen : http://www.pfaffenhoffen.org/musee-de-limage-populaire.html

Site du Judaïsme d’Alsace et de Lorraine : http://judaisme.sdv.fr/

À écouter

Jacky Herrmann (chant), Menou'ha vesim'ha