Patrimoine culturel immatériel

Les maîtres parfumeurs du pays de GrasseLes maîtres parfumeurs du pays de Grasse

  • "Il fallait pendant les vacances d’été, ramasser son petit panier de jasmin."
  • "Mon plus beau souvenir c'est chaque année, voir les boutons fleurir."
  • "La transmission se fait au quotidien sans qu’on s’en aperçoive !"

C'est quoi ?

Extrait d’acte du parlement anglais de 1170 « Toute femme de tout âge, de tout rang, de toute profession ou condition, vierge, fille ou veuve qui, à dater dudit acte, trompera, séduira ou entrainera au mariage quelques uns des sujets de sa Majesté à l’aide de parfums, faux cheveux, crépons d’Espagne, busc d’acier, paniers, souliers à talons et fausses hanches, encourra les peines établies par la loi actuellement en vigueur contre la sorcellerie et autres manœuvres ; et que le mariage sera déclaré nul et de nul effet . »

Grasse
©Musée International de la Parfumerie, Grasse

A partir du milieu du XVIe siècle, la fabrication des parfums alcooliques devient importante et l’usage croissant du parfum entraîne une grande demande de matières aromatiques. Montpellier et Grasse sont les villes qui s’imposent alors comme les deux grands centres de la parfumerie. Montpellier célèbre pour sa faculté de médecine et son école pharmaceutique, ne peut produire sur place les substances végétales nécessaires à la parfumerie, étant donné son climat trop rude. Grasse, capitale de la Provence orientale, bénéficie d’un microclimat exceptionnel et d’un cheptel considérable, fort utile à la tannerie, activité dans laquelle la cité se spécialise dès le XIVe siècle.

C’est à la mode des cuirs parfumés que l’on doit les origines du développement de la parfumerie ; au milieu du XVIIe s’intensifie dans la région de Grasse, la culture des plantes à parfums : le jasmin, venu des Indes à partir de 1650, la rose, cultivée à Grasse depuis 1650 et la tubéreuse, importée d’Italie vers 1670.

Gantier parfumeur
©Ooh collective, Gantier parfumeur

La corporation des gantiers parfumeurs dont les premiers statuts datent de 1724 et sont homologués par le parlement de Provence le 11 février 1729, réunit 21 marchands fabricants en 1724, et 70 en 1745. Les gants sont non seulement parfumés par coquetterie, mais aussi pour se débarrasser de l’odeur tenace des peaux tannées. Peu à peu, l’industrie de la parfumerie va se substituer à celle de la ganterie, et la corporation des maîtres parfumeurs se sépare de celle des tanneurs dès 1759. La crise du commerce des cuirs et le développement de la parfumerie entraînent le déclin du métier de gantier-parfumeur au profit de celui de parfumeur exclusivement. Le XVIIIe siècle demeure en effet celui du parfum.

 

Transformation d’une matière première en produit fini (tableau extrait de : L’Art du parfum)

Transformation d’une matière première en produit fini

Ça se passe où ?

carte des alentours de Grasse

C'est quand ?

Calendrier des récoltes des fleurs symboles de Grasse :

La rose de Mai, rosa centifolia : la récolte est groupée sur une vingtaine de jours, de mi-mai à mi-juin ; il n’y a pas de seconde récolte. La fleur est cueillie demi-épanouie, tôt le matin et tard le soir. La cueilleuse casse la fleur sous le calice et la dépose dans un sac attaché à la ceinture. La cueilleuse peut ainsi cueillir de 10 à 20 kg de fleurs par jour. Les fleurs cueillies, souvent couvertes de rosée, sont étalées en mince couche à l’ombre et doivent être acheminées dans les 12 heures vers l’usine.

Roses de Mai
©Musée International de la Parfumerie, Grasse

Le jasmin, jasminum grandiflora : la récolte commence mi-juillet et dure jusqu’à une date décidée par les parfumeurs ; car bien que fleurissant jusqu’aux premières gelées en janvier la fleur ne contient plus assez de parfum vers la fin octobre. Tous les jours ou tous les deux jours, on cueille la fleur éclose dès le lever du jour et jusqu’à 10 heures. On rapporte qu’en Egypte la récolte se fait la nuit à la lueur des projecteurs. Une bonne cueilleuse peut, délicatement, ramasser 400 à 500 grammes de fleurs à l’heure. La récolte, stockée à l’ombre en couche peu épaisse, est livrée à l’usine le jour même.

Fleurs de jasmin
©Ooh collective, Fleurs de jasmin

La tubéreuse, polyanthes tuberosa : la floraison débute vers la fin juillet. Elle est capricieuse et il n’est jamais certain d’avoir, même avec de très beaux bulbes, une floraison. La cueillette des fleurs en boutons entrouverts se fait tous les matins entre 6 et 10 heures et la livraison à la parfumerie s’effectue aussitôt. Seules une ou deux fleurs à la fois et par tige qui sont prêtes à la cueillette sur l’épi foral comportant 20 à 30 boutons s’épanouissant toujours en partant du bas. La récolte peut se poursuivre jusqu’à novembre, tous les trois à huit jours. La fleur est livrée le jour même à l’usine.

La tubéreuse
©Ooh collective, La tubéreuse

La fleur d’oranger, citrus aurantia : La récolte a lieu en avril-mai. La veille, le sol est ratissé et on déroule des draps et des filets plastiques sous les arbres. La cueillette se fait le matin, après la rosée ; on cueille soit les pétales en secouant l’arbre, les faisant ainsi tomber sur le filet, soit le bouton floral, en s’aidant d’une échelle, et en le déposant dans un panier ; on repasse tous les deux jours. Les fleurs sont étalées en couches minces puis portées le jour même à l’usine.

Un brin d’évasion

Les Touaregs de l’Ahaggar en Algérie utilisent divers parfums en encens auxquels ils peuvent attribuer des vertus protectrices, purificatrices, thérapeutiques ou esthétiques. Les principaux encens et résines utilisés sont le benjoin (qui soigne les rhumatismes ou les maux de tête, ou encore le bshoûr du Soudan contre les insomnies ), la gomme-résine bdellium, le bois d’aloès et d’agalloche, des pastilles du sérail, le mastic sous forme de larmes, le musc de civettes, le nard indien ou la noix de muscade. Les Touaregs utilisent des parfums nommés « akerârou » dont la composition peut réunir jusqu’à quarante produits différents. La réalisation de ces parfums est faite par des femmes connues dans la société pour leur savoir-faire. Après s’être lavées, les femmes répartissent la fumée odorante des fumigations sur leurs corps et leurs vêtements. Elles possèdent aussi des petits sachets de plantes odoriférantes qu’elles confectionnent elles-mêmes et qui sont suspendus au voile qui recouvre leur tête, ou placés dans leurs tresses. Elles peuvent porter également des bagues munies d’un boîtier dans lequel elles mettrent du parfum.

Un brin d'histoire

Ville de Grasse
©Ooh collective, Ville de Grasse

Voici déjà plus d’un millénaire que la ville existe. On dit que l'origine de son nom viendrait de "podium grassum" qui subsiste de nos jours dans le nom du "grand Puy", le rocher sur lequel la ville ancienne fut construite. Cette possession qui appartenait au seigneur Rodoard, vers le Xe siècle, obtint son indépendance. Au début du XIIe siècle, elle devient une commune libre administrée par des consuls. L'évêque d'Antibes y fixe son évêché vers le XIIIe siècle. La ville de Grasse est alors très puissante et son importance lui permet de traiter d'égal à égal avec Gênes, alors un des ports les plus important de la Méditerranée, ce qui n'est pas rien. La ville est située au carrefour des chemins des Alpes à la mer et de celui de l’Italie à Draguignan, qui passe par Nice. Son intérêt stratégique n'échappe pas au Comte de Provence qui s'empare de la ville, laissant leur liberté, leurs privilèges et une certaine autonomie à ses habitants. Grasse devient alors le centre d'une vaste circonscription judiciaire et administrative. En 1388 son importance s'accroît encore lors de la dédition du comté de Nice à la Savoie. La ville devient une place forte frontalière à proximité du fleuve Var qui est une frontière naturelle avec ce comté de Nice. La ville tire sa richesse de la culture des fleurs, fruits, huile d'olive et d’une importante industrie de tannerie et l’exploitation des peaux venant des Alpes facilitées par le torrent de la Foux, aujourd’hui recouvert et disparu (la Place aux Aires était alors traversée par un canal qui servait au lavage des peaux). Sa position géographique et son micro climat favorisent particulièrement notre cité. En 1481, elle entre dans le royaume de France très riche et particulièrement forte. L’industrie du tannage des peaux (mégisserie) décline, mais elle est compensé par la naissance de la parfumerie, importée par un florentin de la cour de Marie de Médicis (dit-on) : la mode étant alors à parfumer les gants de peau. Le micro climat dont elle bénéficie, ses cultures de fleurs, donnent vite à la ville un nouvel essor et ce qui n’est alors que de l’artisanat se développe jusqu'à devenir une industrie très importante à la fin du XVIIIe siècle, et qui existe encore de nos jours ; Grasse est souvent surnommée la capitale mondiale du parfum.

Un brin de poésie

Les fleurs, don passager d'un été trop rapide,
Ne donnent, se fanant, qu'un fugitif plaisir ;
Mais leurs sucs distillés en un parfum liquide
De leur éclat vivant gardent le souvenir ;
Une prison de verre enfermant leurs senteurs
Rappelle l'heureux jour qu'embauma leur présence.
Vienne aujourd'hui l'hiver déchaînant ses rigueurs,
Si la fleur a péri, respirons son essence.

William Shakespeare
(extrait trouvé dans L'art oublié du Parfum de Septimus Piesse - éditions Max Milo).

Petit abécédaire

Distillation : d’une façon générale, procédé qui consiste à séparer par évaporation les solides et les différents constituants volatils d’un mélange naturel ou artificiel. Cette opération est souvent utilisée en parfumerie et nommée rectification, fractionnement, etc... suivant le but recherché. Mais on appelle plus précisément distillation ou « hydrodistillitation » le procédé d’extraction qui consiste à chauffer dans un alambic un mélange d’eau et de végétal aromatique. La vapeur d’eau est alors refroidie et recueillie à la sortie de l’appareil dans un récipient où, par décantation, l’eau se sépare des éléments odorants qu’elle avait entraînés et que l’on appelle essence.

Encens : à l’âge de bronze, le parfum est d’abord un moyen privilégié des hommes pour communiquer avec la divinité. Fumé sur les autels, il opère une médiation entre les sphères humaine et divine et constitue une offrande qui nourrit les Dieux. Il matérialise la prière qui s’élève, en même temps qu’il chasse les souffles néfastes, purifie l’air et sacralise l’espace.

Enfleurage à froid : on recouvre de fleurs une couche de graisse disposée autrefois dans des plats en céramique et, depuis le XIXe siècle, sur les deux faces d’un « châssis » - vitre rectangulaire insérée dans un châssis en bois – appareil inventé au début du XIXe siècle par un grassois, Monsieur Théas. On utilise surtout ce procédé pour le jasmin et la tubéreuse.

Enfleurage à chaud : les fleurs baignent dans de la graisse fondue. Ce procédé est utilisé principalement pour la rose, la cassie, la violette, la fleur d’oranger. De cette graisse parfumée ou pommade, on peut faire de l’absolu dit « absolu des châssis » lorsqu’elle est obtenue à froid et « absolue de pommade » lorsqu’elle est obtenue à chaud.

Enfleurage à l’huile : les fleurs sont placées sur des toiles de coton imprégnées d’huile, pliées et disposées sur des châssis grillagés. L’huile parfumée est ensuite extraite de la toile en partie par pressurage, en partie aux solvants volatils. Un lavage à l’alcool de cette huile parfumée permet d’extraire le « concentré d’huile ». C’est ainsi par exemple que l’on fabrique le « concentré de jasmin à l’huile.

Essence ou huiles essentielles : mélange de substances aromatiques contenues dans certains végétaux que l’on extrait le plus souvent par distillation et quelquefois par expression à froid.

Fragrance : du latin « fragare », sentir.

Nez : terme familièrement employé pour désigner le parfumeur-créateur.

Orgue à parfums, ou clavier, ou palette : échantillonage le plus complet possible des matières premières et bases dont dispose un parfumeur-créateur. Ce terme désigne aussi les différents types de supports où sont classés les flacons contenant ces produits.

Ssxab : commun à toute l’Afrique du Nord, le collier odoriférant ssxab est l’un des bijoux les plus anciens. S’il a aujourd’hui disparu, son usage perdure dans certaines régions rurales d’Algérie, du Maroc, de la Tunisie et de la Mauritanie. La pâte est confectionnée par des femmes à l’aide produits odoriférants comme le clou de girofle, le musc de civette, l’ambre gris ou encore le benjoin.

Tubéreuse : polianthes tuberosa, liliacée, amaryllidacée : le genre tubéreuse ne comprend en tout que treize espèces toutes plus ou moins parfumées. On les trouve en végétation spontanée au Mexique et au Texas. L’une d’entre elles offre la particularité d’une coloration rouge-orangé : il s’agit de Bravao Geminiflora.

Volatilité : qualité d’un parfum ou d’une matière première de passer à l’état gazeux. Cette transformation se fait en fonction de la température et de la pression atmosphérique ; les parfums s’évaporent plus vite dans les pays chauds et en altitude.

GRASSE, Marie-Christine (sous la dir.). -Une histoire mondiale du parfum. -Editions Somogy, 2007, 295 p.

Sources:

CLAUDE, Jean-Christophe et al. -Musée international de la parfumerie de Grasse. - Beaux Arts Editions, 2008, 41 p.

ELLENA, Jean-Claude / GRASSE, Marie-Christine / PEYRON, Louis. - Un jour, une plante : La Tubéreuse. - [Acte de colloque] Editions Edisud, 2006, 94 p.

GILLY, Guy. - Les plantes à parfum et huiles essentielles à Grasse. - L'Harmattan Ed., 2009, 414 p.

PIESSE, Septimus. - L'art oublié du parfum. - Max Milo Editions, 2006, 159 p.

DUMAS, Catherine. - Les métiers d'art, d'excellence et du luxe et les savoir-faire traditionnels : l'avenir entre nos mains. - [Rapport], Paris : Ministère de la Culture et de la Communication, 2009, 211 p.

Liens utiles

Site des musées de la ville de Grasse : http://www.museesdegrasse.com/

Office du tourisme de la ville de Grasse : http://www.grasse.fr

Site sur les traditions de Provence : http://paysdegrasse.free.fr/

Site de Didier Gaglewski, Parfumeur : http://www.gaglewski.com

Site d’Alain Bideaux : http://www.alainbideaux.com/

A Ecouter:

FISICHELLA, André (Musique) / BIDEAUX, Alain (Paroles), Grasse Grasse Grasse, 2001.