La boule de fort en Anjou
- Des Victoires !
- Les jeunes viennent à la société d’abord pour discuter…
- on travaille dans la longueur du temps
C'est quoi ?
L’homme est par nature joueur et son imagination a su, depuis la nuit des temps, inventer toutes sortes de jeux pour s’amuser et partager. Grâce aux fouilles archéologiques, on a pu découvrir l’existence de jeux de boules chez les Assyriens, les Chinois vers 1000 avant J.-C.ou les Egyptiens (des boules et un cochonnet ont été retrouvés dans le sarcophage d’un enfant en 500 av. J.-C.). De tradition ancienne en Anjou, des écrits font mention dès 1568 de l’existence d’un jeu de boules couvert, situé à proximité d’un jeu de paume. De nombreuses traces écrites mentionnant les jeux de boules parsèment les écrits jusqu’au XVIIIe siècle et c’est au début du XIXe siècle qu’on énonce clairement une façon de jouer qui s’apparente aux boules de fort. La description méplate de la boule ne laisse plus de doutes.
©Ooh collective, Position du Rouleur
De nombreuses histoires racontent la naissance de la boule de fort, cependant, elles sont toutes porteuses de contradictions, mais laissons les légendes parler, elles détiennent toutes leur part de vérité :
- Une version très répandue expliquerait l’introduction de la boule par les Plantagenêt, comtes d’Anjou et rois d’Angleterre où se pratique encore aujourd’hui un jeu de boules de fort non ferrées.
- Elle aurait été apportée par les forçats, qui employés pour la construction de la levée de la Loire, auraient joué à lancer leur boulet dans les fossés ou a les faire rouler dans les cales des bateaux.
- Ce serait aux mariniers que l’on devrait la piste incurvée, car lors de temps morts, ils auraient joué à la boule dans les cales du bateau.
- D’autres pensent que ce sont des grognards espagnols de Napoléon qui, devant renforcer la levée de la Loire jouaient avec les boulets de canon après la bataille.
- Ou encore que ce jeu proviendrait de l’inventivité des meuniers qui auraient joué avec les billes de bois des moulins, plus usées d’un côté que de l’autre.
- La piste incurvée viendrait de pratiques de jeux de boules dans les douves asséchées des châteaux de la Loire.
Toujours est-il que cette boule de fort est implantée en Anjou depuis au moins le début du XIXe, car à cette époque les joueurs s’étaient regroupés en sociétés ou cercles. La Fédération des Société et Joueurs de Boule de Fort de la Région Ouest est crée en 1907.
©Henk & Anne Martine Reesink, La partie de Boules (2ème moitié XIX)
©Ooh collective, Vue arrière du Fort d’Angers
La boule est composée de deux parties de bois de cormier chevillées entre elles et cerclées de fer. Méplate, elle est composée d’un côté faible légèrement évidé en son centre et donc plus léger que son autre côté, le côté fort (d’où le nom du jeu), souvent chargé d’une petite masse de plomb ou d’une vis incrustée dans le bois. Ces particularités en font une boule en équilibre instable. Elle mesure environ 12,5 à 13 cm de diamètres pour 10 cm d’épaisseur. Son poids environne 1,3 kg. Les boules sont aujourd’hui souvent fabriquées en plastique ou résine. Le maître (l’équivalent du cochonnet à la pétanque) pèse 300 g.
©Ooh collective, La Boule
Le jeu. Autrefois, les jeux, en forme de gouttière, mesuraient jusqu’à 30 m de long pour une largeur de 7-8 m et étaient recouverts de terre tamisée et battue qui provenait de Guédéniau dans le Baugeois. Mais ces terrains situés en plein air demandaient beaucoup d’entretien et se dégradaient rapidement. C’est pourquoi la majorité des jeux sont aujourd’hui couverts et fabriqués en matières synthétiques. Afin de ne pas abîmer le terrain, le port des pantoufles ou savates est de coutume.
Les règles. Le principe est de placer les boules le plus près possible du maître. On ne doit pas jeter les boules, mais les faire rouler. Le rouleur, accroupi, dépose délicatement sa boule et lui imprime une poussée de façon à ce qu’elle atteigne le maître. Suivant la piste, elle peut parfois mettre 50 secondes avant d’atteindre son but. Le tireur, bien campé sur ses jambes lance sa boule, mais ne la jette pas. La boules est avant chaque départ frottée avec un chiffon afin d’éviter toute poussière qui pourrait la faire dévier de sa course. A la fin de la partie, le joueur nettoie sa boule à l’aide d’un appareil appelé poli-boules ou dérouille-boules. Le jeu se joue par équipe, chaque joueur ayant deux boules. Les points sont inscrits sur un compte-points, semblable à deux horloges. En cas de doute, pour l’attribution des points, le joueur a recours à des tiges métalliques de différentes tailles, appelées bauges, qui permettent de mesurer la distance entre les boules et le maître. Autrefois, les femmes étaient interdites de jouer, mais ces dernières années leur ont ouvert la porte. A la fin de la partie, la coutume veut que le gagnant paie un verre et si le perdant n'a marqué aucun point, il doit aller « biser le culs de la Fanny », représentation d’une femme montrant ses fesses. Elle peut être représentée en photo, en peinture ou en sculpture.
Il existe encore aujourd'hui 390 associations de boules de fort, appelées société ou cercle, qui regroupent environs 40.000 adhérents.
Ça se passe où ?
L’Anjou est une région historique de l’Ouest de la France, qui correspond aux départements de Maine-et-Loire dans sa totalité, de la Mayenne, la Sarthe, l’Indre-et-Loire et la Vienne et dont la capitale est Angers.
©Ooh collective, Vue sur la Loire
Un brin d’évasion
Les Aiguines Les premières boules métalliques sont apparues vers 1920. Auparavant, le jeu de boules se jouait avec des boules en bois ou des boules cloutées. Ces dernières étaient fabriquées à Aiguines, qui était le plus grand centre de tournage, ou à St Paul-de-Fenouillet. C’est à cause de la fragilité des boules de bois qui éclataient souvent lorsqu’elles étaient lancées, qu’on commença à les renforcer de clous. Elles avaient alors un autre avantage, celui d’être alourdies. L’utilisation de clous en cuivre rouge ou jaune permettait de les décorer ou même d’y inscrire le nom du joueur. Les boules avaient chacune leurs spécificités selon qu’elles étaient des boules de tir ou de pointage, mais aussi en fonction du jeu joué ou du terrain.
©Ooh collective, Boules à Aiguines
Aiguines, village du sud-est de la France était réputé pour ses boules en écailles fabriquées dans les années trente. Les hommes allaient chercher le bois de buis, idéal pour la fabrication des boules. Le buis était séché puis tourné. Ensuite venait le travail des femmes, les ferreuses, qui s’occupaient du cloutage. Les clous étaient parfois plantés de façon si serrés qu’on aurait pu croire à des boules métalliques. Les têtes de clous étaient positionnées de façon juxtaposées ou en écailles, ce qui les faisaient ressembler à des pommes de pin rondes. On pouvait choisir le diamètre de la boule, la sorte de clous, le motif, les initiales… Aujourd’hui, les ferreuses ont malheureusement disparues, mais on trouve toujours les tourneurs de bois.
Un brin d'histoire
« Peuplé par les Celtes andécaves, conquis par les Romains, puis par les Francs, l’Anjou passa à Robert le Fort en 864 et fut érigé en comté en 870. Foulques V, descendant des premiers comtes d’Anjou et roi de Jérusalem, régna jusqu’en 1131, date où Geoffroi V le Bel, surnommé Plantagenêt, lui succéda. Ce dernier, par son mariage avec Mathilde, reine d’Angleterre, acquit le duché de Normandie. Son fils Henri devint roi d’Angleterre en 1154. L’Anjou, quoique possession anglaise, continuait à relevé de la Couronne française. Philippe Auguste le confisqua à Jean sans Terre et le plaça sous son autorité immédiate (1203), mais Louis IX le donna, avec le Maine, en apanage à son dernier frère Charles. Celui-ci, sous le nom de Charles Ier (1246-1285), fonda la deuxième maison d’Anjou, acquit par mariage la Provence et conquit le royaume de Naples (1266). Sa petite-fille apporta l’Anjou en dote à Charles de Valois, frère de Philippe le Bel (1290) et fut la mère du future Philippe VI de Valois qui, à son avènement (1328), réunit le comté d’Anjou à la Couronne. Il en fut de nouveau détaché par Jean II le Bon qui l’érigea en duché au profit de son second fils Louis Ier (1360), chef de la troisième maison d’Anjou. Cette dynastie fit connaître à l’Anjou, avec Louis II, Yolande d’Aragon et le roi René Ier, une période extrêmement brillante. La dynastie s’éteignit et l’Anjou fut rattaché définitivement à la Couronne par testament en 1482. […] » (Définition du petit Robert des noms propres.)
Un brin de poésie
Sonnet
de Maurice Couailler, 1908.
Par le bourg qui somnole – un dimanche d’été,
Autour du clocher gris, coiffé d’ardoise fine,
Le vieux joueur fidèle à la « boule angevine »,
S’achemine à pas lents, vers la « Société ».
Et le doux ciel d’Anjou blute sa volupté
Sur le vin qui mûrit au flanc de la colline ;
Entre les peupliers, la Maine se devine
Comme un pâle ruban sur les prés verts jeté…
Et le vieux retirant sa veste des dimanches,
Et sur des bras hâlés retroussant ses deux manches,
Prend sa « boule de fort » en buis cerclé de fer.
Lentement il la joue, et, sa pipe à la bouche,
Suit la courbe savante au sable rose et clair,
Tandis qu’elle s’en va droit au « maître » et s’y couche.
La chansons des joueurs de boule (extrait)
De Emile Jourlain. Recueil Rimiaux, 1974.
[…]
Mon pauv’gâs, t’es trop court :
T’iras point au Concours !
Té arrière, t’es trop long :
T’es parti pour Brion !
En v’la y’ein, pus adrét’
Qu’est drét’ vis-à-vis l’maît’,
Et tout l’monde cri’ ben haut : »
Viv’le gangnant ! bravo ! bravo !
[…]
Petit abécédaire
Bauge : tiges de métal de différentes tailles permettant de mesurer la distance entre le maître et les boules en cas de doute lors de l’attribution des points.
Bauger : mesurer la distance entre le maître et deux ou plusieurs boules.
Camper : se placer pour jouer, non pas vers le centre de la piste, mais vers la gauche ou la droite.
Cormier : bois très dur qui était utilisé pour la fabrication des boules de fort.
Couvreur : joueur qui joue le premier dans son équipe. Syn. : rouleur, devancier.
Dérouille-boule : appareil permettant d’enlever les traces de rouille afin de garder ses boules toujours brillantes. Syn. Poli-boules.
Faire un bouc : à la boule de fort, faire coller sa boule contre le maître. Syn. : Arriver mort au maître, faire bibi gouline, faire un collant.
Fanny : (de l’anglais « fanny », « cul, fesses ». A la fin d’une partie, si les perdants n’ont pas marqué de points, ils se doivent de respecter la coutume qui consiste à « biser le cul de Fanny », représentation coquine d’une femme dévoilant ses fesses. Vue d’un mauvais œil par le clergé, Fanny a été cachée derrière un rideau. Elle était la seule femme autorisée au jeu de boule. On dit aussi « aller à Brion ».
Fort : côté le plus bombé et le plus lourd d’une boule de fort.
Fort en dedans : façon de tenir sa boule, le fort étant vers l’intérieur du jeu. Syn. : Fort bas.
Fort en dehors : façon de tenir sa boule, le fort étant vers l’extérieur du jeu. Syn. : Fort haut.
Maître : boule qu’on lance ou qu’on place le premier pour servir de but. (équivalent du cochonnet à la pétanque).
Malonner : (patois angevin) à la boule de fort, osciller en parlant de la boule arrivant en fin de course.
Rimiaux : poème ou conte rimé en parler angevin.
Rouleur : à la boule de fort, joueur qui joue le premier dans son équipe. Syn. : couvreur, devancier
Tireur : celui qui tire, c'est-à-dire qui lance sa boule en direction de celle de l’adversaire afin de la chasser.
Sources
LINDEN, Gérard. - La boule de fort par noms et par mots. - Cheminements Ed., 2007, 302 p.
SIGOT, Jacques / SERAIN, Didier (préf.). - Il était une fois… La Boule de Fort. - Indri Ed., 2007, 117 p.
SERAIN, Didier / MORIN, Pierre (préf.). - Papy, raconte-moi la boule de fort. - Impr. Paquereau, 2004, 95 p.
REESINK, Henk / REESINK Anne-Martine. - Jeu de Boules, 3000 ans d’Histoire… et d’histoire. - Lerné: La Société de Boule de Fort « La Paix », 2004, 176 p.
Liens utiles
Site du musée la Picroboule : http://www.picroboule-37.com/
Site de Gérard Pierron : http://www.gerard-pierron.org/
Site de l’association le P’tit Chariot : http://www.petit-chariot.org/ Site d’Oreil Prod sur La Gaule de Bois : http://www.oreil.net/
A écouter
Gaston Couté (paroles)/ Gérard Pierron (musique) / La Gaule de Bois (Inter.), Le Champ de Naviots, album Chants Marins, 2008, Oreil Prod.