Patrimoine culturel immatériel

Le compagnonnageLe compagnonnage

  • « Ma première émotion, c’était de voir mon père et ma mère descendre à Toulouse venir voir le chef-d'œuvre qui était à l’époque une œuvre de débutant, mais qui était très important pour moi »
  • « Ça a été comme une révélation ! J’ai eu envie d’être comme ces hommes ! »
  • « Les compagnons ce sont des passeurs… parce que ce que l’on reçoit, on ne le reçoit que pour un temps »
  • « Les compagnons, c’est un peu l’école de la vie »

C'est quoi ?

L’homme n’est devenu sapiens qu’à force de se vouloir faber
Paul Feller

Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage,
polissez-le sans cesse et le repolissez.

Michel Boileau

Aiguiser l’outil constitue un seuil, en-deçà de quoi il y a des bricoleurs, et au-delà de quoi il y a des gens de métier.
Paul Feller

Ce qui vaut la peine d’être fait, vaut la peine d’être bien fait.
Nicolas Poussin

©Ooh collective, Truelles – Maison de l’outil et de la pensée ouvrière
©Ooh collective, Truelles – Maison de l’outil et de la pensée ouvrière

« Le système français du compagnonnage est un moyen unique de transmettre des savoirs et savoir-faire liés aux métiers de la pierre, du bois, du métal, du cuir et des textiles ainsi qu’aux métiers de bouche. Son originalité tient à la synthèse de méthodes et procédés de transmission des savoirs extrêmement variés : itinérance éducative à l’échelle nationale (période dite du « Tour de France ») voire internationale, rituels d’initiation, enseignement scolaire, apprentissage coutumier et technique. Le mouvement du compagnonnage concerne près de 45 000 personnes qui appartiennent à l’un des trois groupes de compagnons. Les jeunes à partir de 16 ans qui veulent apprendre et/ou développer leurs compétences dans un métier donné peuvent demander à rejoindre une communauté de compagnons. La formation dure en moyenne cinq ans pendant lesquels le jeune ouvrier change régulièrement de ville, en France et à l’étranger, pour découvrir divers types de savoirs et diverses méthodes de transmission de ces savoirs. » Pour pouvoir les transmettre, le jeune ouvrier doit produire un travail de Réception (autrefois appelé « chef-d’œuvre ») qui est examiné et évalué par les compagnons. Alliant techniques traditionnelles et techniques à la pointe du progrès, le compagnonnage assure une formation d’excellence qui lie étroitement développement de l’individu et apprentissage du métier. Certains rites d’initiation propres au métier sont pratiqués.

Les trois groupes compagnonniques :

La formule du compagnonnage, appliquée de façon large, concerne près de 45000 individus dont un quart forme le noyau des membres actifs et permanents. Le reste est composé de personnes qui ont pu bénéficier pour un temps plus ou moins long dans le cadre de l’apprentissage, de l’enseignement professionnel ou de la formation continue de la transmission des savoirs chez les compagnons. L’ensemble de ces individus est distribué en trois groupes compagnonniques d’organisation et de sensibilité différentes :

  • l’Association Ouvrière des Compagnons du Devoir du Tour de France (AOCDTF) qui compte près de 5200 membres actifs de statuts et d’engagements très variables auxquels on peut associer 20000 individus ayant eu une expérience compagnonnique à leurs côtés ;
  • la Fédération Compagnonnique des Métiers du Bâtiment des Compagnons des Devoirs du Tour de France (FCMB) qui dispose, dans la même variété, de quelques 3350 individus dans l’acception étroite auxquels s’ajoutent 10000 personnes formées par an dans la perspective large ;
  • l’Union Compagnonnique des Devoirs Unis (UCDDU) regroupant, selon la définition étroite ou large mentionnée ci-dessus, soit près de 1200 personnes soit quelques 5000 individus.

Dans ces maisons s’enseignent et se transmettent des savoirs et des savoir-faire liés aux métiers et à la vie compagnonnique. Ils forment de ce fait des « lieux de savoir » singuliers, tout à la fois de création et de préservation des savoirs et savoir-faire compagnonniques.

La salle à manger, un lieu privilégié :

Extrait de la « Règle des Compagnons du Devoir, 2009

  • Apprendre à travailler les éléments pour assurer son quotidien et, malgré les difficultés, se perfectionner sans cesse pour devenir avec patience capable de son métier. Mais également apprendre à ne pas gaspiller les ressources afin que d’autres, ailleurs et demain, puissent en vivre. Les Compagnons du Devoir se sont engagés à agir dans le respect de l’environnement.
  • Dépasser ses propres intérêts et, en Homme libre, se mettre au service des autres. Cela nécessite un travail quotidien sur soi-même, tant pour en acquérir patiemment les aptitudes que pour apprendre à s’effacer. Les Compagnons du Devoir expriment cette attitude courageuse au travers de leur devise : « ni s’asservir, ne se servir, mais servir ».

©Ooh collective, Maison des compagnons de Lille
©Ooh collective, Maison des compagnons de Lille

Ça se passe où ?

Sur l’ensemble du territoire national : chacun des trois groupes compagnonniques est fortement structuré et organisé selon un réseau de maisons réparties, pour l’essentiel, sur l’ensemble du territoire français métropolitain.

Aujourd’hui, les compagnons peuvent effectuer leur « tour de France » dans près d’une quarantaine de pays différents

Un brin d’évasion

Une tradition espagnole : Le conseil des bons Hommes et le Tribunal des Eaux
(inscrit au patrimoine de l’Humanité)

Des juges agriculteurs sans aucune formation en droit, résolvent les litiges, en invoquant les droits humains les plus fondamentaux, ceux recensés par la Déclaration Universelle de 1948 : égalité, droit à la présomption d’innocence et à avoir un procès équitable. Leur finalité est de maintenir la paix sociale, le respect mutuel mais aussi garantir une exploitation optimale des ressources hydriques de la part de ses communautés, sans compromettre son usufruit par les autres utilisateurs et son héritage pour les générations futures.

Un brin d'histoire

Les légendes font naître le compagnonnage mille ans avant Jésus Christ, en Palestine, sur le chantier mythique du temple de Jérusalem. Là, sous l’autorité du roi Salomon et de son architecte Hiram, un ordre de compagnon aurait vu le jour, organisé autour de deux autres personnages : Jacques et Soubise.

Salomon, Jacques et Soubise auraient donc donné naissance à un ordre de bâtisseurs, une élite d’hommes de métier à la recherche de l’excellence. À partir de ce chantier emblématique, le compagnonnage se serait alors organisé autour de trois tendances, trois sensibilités, appelées rites ou devoirs dans le monde du compagnonnage : un rite aux origines orientales (Salomon), et deux rites plus occidentaux (Jacques et Soubise). De l’Antiquité, qui l’aurait vu naître, au Moyen Âge, véritable berceau de ses origines, le compagnonnage se nourrit par ailleurs du personnage de Marie-Madeleine, qui donna naissance au pèlerinage des compagnons à la Sainte-Baume.

©Ooh collective
©Ooh collective

Un brin de poésie

Aux vieux devoirs vous serez éternels (1876)

O Trinité planant sur le saint Temple
Jacques, Soubise, ô grand roi Salomon !
Votre ombre ici peut-être nous contemple,
Touchez ma lyre et dictez ma chanson !
Sans divulguer un seul de nos mystères,
Je veux montrer que nos trois beaux devoirs,
Presque aussi vieux que le monde, ô mes frères,
Autant que lui vivront, j’en ai l’espoir…

 

Ces simples mots : mystères et poésies,
Vers les devoirs attirent bien des cœurs.
Né sous le ciel de la mystique Asie,
Ils sont venus poétiser nos mœurs.
Ces ordres saints, source de notre ivresse,
Jérusalem, frères, fut leur berceau ;
Ils sont bien vieux, et pourtant la jeunesse 
Se presse encore sous leur noble drapeau

Galibert, dit Dauphiné la Clefs des Cœurs, compagnon tisseur-ferrandinier du devoir

Petit abécédaire

ADOPTION : cérémonie au cours de laquelle un jeune garçon ou une jeune fille est reconnu aspirant sur le tour de France.

ASPIRANT, ASPIRANTE : se dit d’un jeune garçon ou d’une fille adoptée par une société compagnonnique pour effectuer son tour de France en vue de devenir compagnon.

ASSEMBLÉE : réunion de tous les compagnons au cours de laquelle se traitent toutes les questions relatives à la vie de la communauté. Les assemblées sont généralement mensuelles.

CAYENNE : lieu où se réunissent les compagnons. Par extension, la cayenne désigne l’assemblée des compagnons elle-même. Seuls quelques métiers utilisent ce terme qui est remplacé par chambre pour les autres corps. Rituellement, on dit que les compagnons descendent en cayenne ou montent en chambre (sens identique à cayenne)

CHEMIN DE FER (maçon, stucateur, tailleur de pierre) : rabot à fers multiples pour ravaler les moulures

CASSE (relieur doreur) : boîte à compartiments dans laquelle on met les lettres de l’alphabet et les chiffres arabes pour le numérotage des tomes

CONSCIENCE ou VENTRE À PERCER : armure de fer ou de bois, percée de trous borgnes, pour faire pression par-derrière sur le foret lorsqu’on perce avec l’archet ou le vilebrequin.

COMPAGNON FINI : troisième état du compagnonnage, est conféré au cours d’une cérémonie dite de finition. Les règlements intérieurs de chaque compagnonnage définissent les conditions d’attribution de ce titre.

COMPAGNON REÇU : deuxième état conféré par le compagnonnage après celui d’Aspirant ou d’Affilié. Tout itinérant qui, après avoir présenté un chef d’œuvre et satisfait aux épreuves de la cérémonie de réception, est déclaré compagnon reçu.

DEMOISELLE (gantier) : instrument pour élargir les doigts des gants.

ENFANTS : tous les compagnons se présentent comme enfants de leurs pères fondateurs.

FELLER Paul : Convaincu que c’est en transformant la matière que l’homme se transforme lui-même, le jésuite Paul Feller entreprend, parallèlement à son sacerdoce, une formation de couvreur, avant de se consacrer à la forge. À partir de 1957, il constitue la remarquable et étonnante collection d’outils à la Maison de l’Outil et de la Pensée Ouvrière de Troyes.

MARIE-MADELEINE : patronne des compagnons du devoir

MÈRE : nom donné à la femme qui, après avoir été dame-hôtesse, gère et anime un siège compagnonnique. Par extension, la mère peut désigner également le siège lui-même

LOUPS : surnom des compagnons tailleurs de pierre, enfants de Salomon. Ceux du devoir sont appelés loups-garous.

PARTANT : se dit de tout aspirant ou compagnon qui quitte une ville pour poursuivre son tour de France.

PASSE-PARTOUT : scie dont la lame est libre à l’avant et munie d’une poignée à l’arrière, qui embrasse fortement le fer (à demi-bois).

SAINTE-BAUME : « Nous compagnons du devoir, venons accomplir ce pèlerinage comme nos anciens le firent et comme le feront nos suivants, afin de puiser à la source de notre histoire la force nécessaire pour maintenir et transmettre notre patrimoine spirituel et continuer la mission de compagnonnage. » par Blois l’ami du Travail, compagnon boulanger

©Ooh collective, Construction d’un four à pain
©Ooh collective, Construction d’un four à pain

Liens utiles

Sources

FELLER, Paul / TOURRET, Fernand / SCHLIENGER, Philippe (photographies). -L’outil. -Editions EPA, (2ème ed.), 2004, 311 p.

ICHER, François. -Les compagnons du tour de France. -Editions de La Martinière, 2010

Unesco. -Le compagnonnage, réseau de transmission des savoirs et des identités par le métier. -[réf. du 30 août 2011], [en ligne], disponible sur internet : http://www.unesco.org/culture/ich/index.php?lg=fr&pg=00011&RL=00441

Maison de l’Outil et de la Pensée Ouvrière http://www.maison-de-l’-outil.com

Site de l’Association ouvrière des Compagnons du Devoir du Tour de France : http://www.compagnons-du-devoir.com/

Site Les compagnons du Tour de France : http://www.compagnons.org/

Site Les compagnons du Tour de France des Devoirs Unis : http://www.lecompagnonnage.com/

À écouter

Nicole Barré, piste 15 de l’album Piano Mélodies