Patrimoine culturel immatériel

Les chants polyphoniques en pays niçoisLes chants polyphoniques en pays niçois

  • « Mon père était italien, ma mère était d’ici, ça chantait en toute occasion »
  • « Un espace créé entre ceux qui reçoivent, et ceux qui donnent »
  • « À force de regarder la vie des autres peut-être on vit moins la sienne »
  • «J’ai chaque fois trouvé auprès des plus jeunes beaucoup d’envie de créer »

C'est quoi ?

« Le chant polyphonique des Alpes du Sud fait partie de la grande famille des chants de la Méditerranée. Des siècles d'échanges sur la mer Méditerranée ne pouvaient que marquer fortement cette expression artistique. La proximité de la Corse et de la Ligurie ont définitivement et depuis des siècles donnés au chant des Alpes du sud un coté Méditerranéen très affirmé.

©Ooh collective
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Le Français est inexistant dans la somme de chants traditionnels des Alpes du sud recueillie à ce jour, qui forme le socle du répertoire. Plusieurs langues cohabitent :

  • Le Niçois
  • Le Provençal Alpin, dit Gavot
  • Le Provençal
  • Le Piémontais
  • Le Ligure
  • Le Mentonnais
  • L'Italien
  • Le Monégasque
  • Le Latin

 

Ces langues ont en commun une origine romane, et une musicalité intrinsèque. En effet, toutes reposent sur la présence d'accentuations à l'intérieur même des mots. Un accent mal disposé peut changer le sens même du mot.

Le chant sacré

Parallèlement au chant populaire profane, la « Musica de gleia » (musique d'église) a une vie très dense. Ce chant s'exprime en Latin, et utilise les timbres liés au chant traditionnel. Ce chant est si populaire qu'il se chante volontiers à l'extérieur des églises, parfois même « au Festin » (fête votive dans les villages). Ceux qui pratiquent ce répertoire Sacré, en Latin sont les meilleurs chanteurs et chanteuses de la région, et prennent pour l'occasion le nom de Chantre. Ce titre leur confère une notoriété locale importante.

Si laude Maria

Texte de l’« Anthologie de la chanson niçoise » de Georges Delrieu

Laudès la gran Vierge Ange e Arcange
Que sigue cantada la Maire tant pia

Si laude, si laude, si laude Maria

Un Diéu l’encourouna e lou ciel l’ounoura
La terra l’adora tout ome li cria

O Vierge fecounda que l’Eternou Pair
A vourgut per Maire dou vèrou Messìa

O que bella gloria d’un Diéu es la Maire
A l’ome per faire dou ciel la gran via

Per Ela es la via Jesù lou viage
L’ome l’eretage sens’Ela perdia

Tambèn o gran Vierge venès assistà
Venès aparà la nouòstr’agounia

En fin de la vida auren la vitoria
Canteren la gloria qu’es vouòstra, Maria

Louez la très haute Vierge, Anges et Archanges
Célébrons la Mère si compatissante

Louons, louons, louons Marie

Un Dieu la couronne et le ciel l’honore
La terre l’adore, tout homme l’implore

O Vierge féconde que le Père Eternel
A voulu pour Mère du véritable Messie

O quelle belle gloire, d’un Dieu elle est la Mère
Pour ouvrir à l’homme la grande voie du ciel

Elle est la voie et Jésus le voyage
Sans elle l’homme perdrait son héritage

Aussi, ô très haute Viereg, venez nous assister
Venez nous protéger durant notre agonie

En fin de vie nous aurons la victoire
Nous chanterons la gloire qui est vôtre, Marie.

Les caractéristiques du chant traditionnel des Alpes du Sud

Les timbres : Les notes droites et justes sont difficiles à produire. La tessiture d'un chanteur est habituellement de deux octaves. Sur ces deux octaves, nous ne sommes à l'aise que sur quelques notes. Pour pallier à ces difficultés, les différentes formes de chant ont inventé des moyens pour rendre les notes difficiles plus accessibles. Dans notre chant traditionnel, la solution est la production d'harmoniques.

©Ooh collective
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L'émission d'un chant chargé en harmonique enrichit le son, augmente la portée, élargit le spectre sonore. C'est aussi un palliatif à un manque de justesse, car les chanteurs le savent bien, plus on produit d'harmoniques, moins on donne la note. Les chanteurs ne cherchent pas à utiliser les résonateurs habituels (gorge, tête, nez …). La voix est plutôt projetée à l'extérieur, et ce sont les sons mêlés d'une somme de chanteurs qui produisent la résonnance et le particularisme de ce chant.

Le son produit est le plus droit possible, sans vibrato. C'est cette linéarité du son et les timbres riches en harmoniques qui produisent un phénomène étrange, dit Quintina. La quintina est une note « angélique » que personne ne chante, mais qui s'entend et se forme souvent au dessus du groupe de chanteurs. C'est un des aspects magiques de ce chant.

L'harmonie spécifique des Alpes du Sud

« Celui qui chante bien, c'est celui qui fait la voix qui manque » (Luigi Bianco). En fait, toutes les possibilités harmoniques peuvent s'exprimer, car c'est un chant ouvert. Dans la musique traditionnelle des Alpes du sud, deux types d'harmonie cohabitent.

  • Le premier est exprimé dans les manuscrits de musique sacrée recueillis à ce jour. C'est un curieux mélange de mélodies Grégoriennes sur lequel viennent se greffer des parties harmoniques souvent inattendues et originales, ou la personne qui a noté donne libre cours à son imagination.
  • Le second type harmonique traditionnel est le plus répandu, le plus codifié. Il se compose en général de trois voix. La prima (qui fait le chant, et représente la tonique), la scounda (qui fait une harmonie à la tierce), al bas (ligne de basse qui conforte le déroulement harmonique du morceau). La belessa est une voix qui enrichit l’harmonie et donne du relief, de la couleur, de la finesse, en un mot plus de nuance.
Le répertoire

Comme toute culture vivante, le chant traditionnel polyphonique des Alpes du sud est constitué de passé et de présent. Le passé nous est parvenu soit par la transmission orale, soit par des documents écrits.

©Ooh collective
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Les documents écrits.

Nicolas Saboli, au XVIe siècle, a noté près de 300 noëls provençaux, Georges Delrieu, (Anthologie de la chanson Niçoise, parue en 1960) note une somme importante de chant traditionnels et de création de la région Niçoise. Très visionnaire, Delrieu note aussi les comptines, les sonnailles de clochers dans les villages, les « mauvaises chansons ».
Le répertoire traditionnel est toujours en évolution, et s'enrichit au fil des ans de nouvelles chansons. Pour exemple, Vivem toujours en mountagno, de Zéphirin Castellon, Nissa la bella, de Ménica Rondelli, et bien d'autres. D'autres créations existent en langue régionale, mais les formes musicales employées, qui empruntent beaucoup au folksong américain, ne sont plus compatibles avec les formes du chant polyphonique. »

La transmission orale.

La transmission orale est la transmission de bouche à oreille d’un savoir ancien. Comme les griots africains, les musiciens d’ici ont joué le rôle de passeurs de savoir, de mémoire. Des milliers de musiques ont ainsi traversé les siècles, pour arriver jusqu’à aujourd’hui. »
Michel Bianco

Ça se passe où ?

Le Pays niçois, ou Pays de Nice, est un territoire français depuis 1860, situé à l'extrémité sud-est de la France, au sud des Alpes et au bord de la mer Méditerranée, sur la rive gauche du Fleuve du Var.

©Ooh collective, Berre-les-Alpes
©Ooh collective, Berre-les-Alpes

C'est quand ?

A l’occasion de fêtes (Festins), de Messes, en famille, etc. C’est chaque fois que le miracle d’une activité artistique commune et spontanée peut avoir lieu. C’est de toutes manières un moment privilégié, magique, hors du temps.

Un brin d’évasion

Le Ca trù, poésie chantée, Vietnam ; Inscrit au Patrimoine culturel immatériel de l’humanité

Le Ca trù, menacé de disparition, s’est imposé comme un genre musical pleinement développé au XVe siècle. À l’époque, il était souvent exécuté dans la maison communale du village, à l’occasion du culte du dieu tutélaire du village. Plus tard, il a été exécuté au palais royal, dans des demeures privées, dans des « bars musicaux » (ça quán) et lors de concours de chant (Hát thi).

Le Ca trù est un art sophistiqué de poésie chantée. Un groupe de Ca trù est généralement composé d’une chanteuse qui chante en jouant des cliquettes (phách), d’un instrumentiste qui joue du dàn dáy, un luth à trois cordes, et d’un joueur de « tambour d’éloge » appelé quan viên c?m ch?u. La musique complexe du Ca trù se compose d’un chant extrêmement ornementé, ponctué par les divers rythmes des cliquettes, du son profond du dàn dáy et des sonorités puissantes du tambour d’éloge. Certaines représentations de Ca trù incluent également de la danse (voir la documentation supplémentaire de l’inventaire). Selon les artistes traditionnels, le Ca trù a 56 formes musicales ou mélodies différentes, chacune appelée the cách.

Un brin d'histoire

L'histoire de Nice débute avec l'arrivée des civilisations grecque et romaine dans un espace niçois occupé par deux peuples : les Ligures et les Celtes.

L'arrivée des Grecs au Ve siècle avant J.-C. fait de Nice (appelée alors Nikaïa) un comptoir commercial dépendant de Massilia. L'olivier et la vigne font alors leur apparition.

C'est entre -13 et -6 que les Romains fondent la province militaire des Alpes-Maritimes. Ce bout de terre accidentée est un pivot stratégique pour les ambitions romaines. Sur la colline de Cimiez, ils créent Cemenelum qui disparaît au Ve siècle au profit de Nice plus facile à défendre sur son rocher face aux grandes invasions. De 663 à 999, Nice entre dans l'anonymat historique. Seuls deux événements sont parvenus jusqu'à nos historiens: la fondation de l'Abbaye de Saint Pons et le saccage par les Sarrasins en 813.

Avec la chute de l'empire romain, la Provence à laquelle Nice appartient est disputée par différents peuples. Ce sont les francs qui l'emportent. Leur présence oppressante pousse les Provençaux à la rébellion. Malgré l'aide des musulmans de Narbonne, Charles Martel réprime cruellement la population qui fuit les côtes et les rives ravagées pour la campagne.

En 843, au partage de Verdun, La Provence passe de mains en mains pour être finalement unie au royaume de Bourgogne en 946. Apparaît alors le premier comte de Provence: Boson, représentant l'autorité royale, usurpe son pouvoir. Cependant les Sarrasins font planer la terreur par leurs pillages. En 972, Guillaume "le libérateur" les repousse définitivement. Mais ses successeurs peu puissants ne contrôlent que la région d'Arles. Après une guerre de succession entre la maison comtale de Barcelone et la maison comtale d'Anjou, cette dernière remporte le trône de Provence.

Dans ce contexte, Nice affirme son autonomie. À tel point qu'elle négocie avec Gênes et Pise des traités d'alliances militaires et commerciales.

Les comtes de Provence réorganisent très vite leur pouvoir et imposent leur concept centralisateur à toute la Provence dont Nice fait alors partie. À partir de 1166, ils organisent des campagnes pour rétablir leur autorité. Toutefois, ce n'est que le 9 novembre 1229 que Raimond Bérenger V entre dans Nice. Les Niçois dirigés par les Badat et les Riquier font appel à Gênes. La Provence récupère Nice en février 1230.

Se forment alors les éléments qui serviront de base à l'émergence du pays Niçois: le découpage administratif de la Provence en vigueries divise le futur territoire en quatre zones (Nice avec la vallée des paillons, Puget Théniers de l'Estéron à la Tinée, Val de Lantosque de la Vésubie à la Roya et Barcelonnette). En 1315, les Grimaldi héritent de la seigneurie de Beuil. Avec l'arrivée de Jeanne 1re (reine de Naples) sur le trône du Comté de Provence, l'histoire du Nice va basculer.

MANGIAPAN, Nicòla. -Histoire du Pays Niçois. -[réf. du 26 août 2011], [en ligne], disponible sur internet :
http://calandreta.free.fr/francais/culture/histoire.php

Un brin de poésie

Khadidja, de Michel Bianco

Per via sensa fin de poussesioun
Creisse l’oumbra de fin finala
Frustà la vida sensa passioun
Entressa ’na cansoun fatala
Lou vent escampilha li cendre dóu temp

Que sigues marouquina
O pura marenguina
Passagin, cada jou mi manques

Ventre redoun de roucalha
Ment lieure que pantaia
Passagin, cada jou mi manques

Cada jou ti perdi
Un pau de mai
Lou mieu pantai
De mai en mai
Lou vieu miralh

Passà touta ‘ na vida
En cerca leu esvanida

Que sigues marouquina
O pura marenguina
Passagin, cada jou ni manques

Ventre redoun de roucalha
Ment lieure que pantala
Passagin, cada jou mi manques

Rasoun dura esvanida
E passioun que si fida
Passagin, cada jou mi manques

Li tieu labra d’escuma
Toun regart, raai de luna
Passagin, cada jou mi manques....

Traduction du niçois en français : Khadija. Sur le chemin sans fin des possessions grandit l’ombre d’une fin définitive. User la vie sans passion, tresse une chanson fatale, le vent éparpille les cendres du temps. Que tu sois pauvresse, ou cousue d’or, Passagin, chaque jour tu me manques. Ventre engrossé de Rocaille, esprit libre qui rêvasse, Passagin, chaque jour tu me manques. Chaque jour je te perds un peu plus, mon rêve de plus en plus, miroir vivant. Passer toute une vie en une recherche bientôt évanouie. Raison dure qui s’évanouit, et passion qui prend confiance, Passagin, chaque jour tu me manques. Tes lèvres d’écume, ton regard rayon de lune, Passagin, chaque jour tu me manques….

le passagin était le passeur du port de Nice qui faisait rêver les enfants et les rêveurs, mais c’était aussi sa barque

Petit abécédaire

ALPINI : Il existe dans ces chœurs d'hommes une voix de tête, ou de fausset, avec un volume assez affirmé, qui enrichit l'harmonie, ou bien éclaire certains traits sombres. Ces chœurs, extrêmement nombreux après-guerre sur le versant Italien pratiquent un répertoire dit « di montagna ». Les groupes phares de cette école, aujourd'hui en recul, ont été Coro della Sat, ou La grangia di Torino. Ils pratiquent un répertoire lié à la montagne (militaires Alpins, Club Alpin Italien). Ce répertoire s'exprime le plus souvent en Piémontais et en Italien

APPOGIATURES ET ABBELLIMENTI : L'appogiature est une ornementation mélodique. Elle sert à agrémenter la mélodie. Mais son placement varie en fonction de l'effet recherché. Elle peut être très libre, sur une partie soliste expressive, et donner une expression de détachement, de liberté, de déséquilibre et une intensité dramatique forte. Elle intervient aussi sur des moments de recentrages rythmiques, quand le chœur doit se retrouver au niveau du tempo. L'appogiature annonce alors les temps forts, qu'elle précède. La dernière note de l'appogiature est le temps fort, par convention implicite des chanteurs.

HARMONIE : est l'art de faire cohabiter des notes ensemble. C'est un art fortement impressionniste, sur lequel la tradition et les compositeurs classiques ont beaucoup travaillé. Maurice Ravel est un des plus créatifs dans cette discipline, tout comme les Corses, les Mongols ou les Pygmées. Ces relations entre notes s'expliquent aujourd'hui par des graphiques et des mesures électroniques. Mais le ressenti de chacun est le meilleur juge

TEMPÉRÉ, NON TEMPÉRÉ : Plusieurs manières de découper l'octave cohabitent. Pour pouvoir jouer dans toutes les tonalités, les instruments à clavier sont assujettis au tempérament égal, c'est-à-dire que l'on divise l'octave en 12 demi-tons égaux. C'est ce que l'on appelle le mode tempéré. C'est pratique, mais ça ne sonne pas comme le système pythagoricien, qui lui utilise les divisions naturelles, c'est le mode non tempéré.

PRIMA : La prima est la mélodie. C'est la voix principale, qui nécessite une grande stabilité et une bonne connaissance des paroles (et des différentes versions d'une même chanson). C'est la voix qui donne en général le tempo.

SCOUNDA : La scounda est une voix d'harmonie qui évolue généralement à la tierce. Elle peut se situer au-dessus ou au-dessous du chant.

AL BAS : al bas est une voix plus grave, qui dit aussi les paroles, c'est une basse harmonique qui suit les accords induits par les chants et contrechants.

QUINTINA : La quintina est une note « angélique » que personne ne chante, mais qui s'entend et se forme souvent au dessus du groupe de chanteurs. C'est un des aspects magiques de ce chant. La quintina disparaît avec le vibrato ou la sonorisation, mais peut s'entendre sur un enregistrement.

©Ooh collective, Corou de Berra
©Ooh collective, Corou de Berra

Sources

BIANCO, Michel (sous la dir.). Corou de Berra : Lou cansounié. -Editions Serres, Nice, 1998

BORDES, Maurice (sous la dir.). -Histoire de Nice et du pays niçois. -Toulouse, Privat, 1976. In-4°, 491 p. (Univers de la France et des pays francophones.), disponible sur internet : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bec_0373-6237_1978_num_136_1_450125_t1_0211_0000_2

 

Liens utiles

Les langues et cultures régionales dans l’Académie de Nice : http://www.ac-nice.fr/lcr

Maison de Pays de Berre les Alpes : http://www.mdp-berre.com

Site du Centre régional de documentation pédagogique de l'Académie de Nice: http://www.crdp-nice.net

Site de Corou de Berra : http://www.coroudeberra.net

À écouter

Patrice Conte, Frédéric Mistral, Cantico dei Santi, Trad. Anonyme, Michel Bianco (arrangements), Si Laude Maria / Corou de Berra, Au fil du temps, 2007

Corou de Berra, 10/ Polyphonice, Buda Musique, 2008