Patrimoine culturel immatériel

Les Maîtres-Bâtisseurs en pierre sèche des CévennesLes Maîtres-Bâtisseurs en pierre sèche des Cévennes

C'est quoi ?

« Du galet roulé par la rivière à l’ardoise qui se délite en plaques fines, du cailloutis au bloc, les pierres sont très variées. Elles changent selon leur qualité géologique (calcaire, granit, schiste, etc.) et varient également par la forme et le volume. Leurs caractéristiques résultent du travail du temps, de l’activité volcanique, de la sédimentation, de l’érosion, des activités humaines, végétales ou animales. 

La maçonnerie en pierres sèches a un double rapport à cette diversité : d’une part, elle s’y adapte en variant la façon de maçonner et d’appareiller les pierres ; d’autre part, elle l’utilise en attribuant à chaque pierre une fonction technique spécifique dans la maçonnerie selon sa qualité, sa forme et sa taille. »

Extrait de Construire en pierre sèche de Louis Cagin et Laetitia Nicolas aux Éditions Eyrolles, 2011, p. 28.

L’art de la construction en pierre sèche remonte à la nuit des temps. Il consiste à bâtir sans liant de mortier ou ciment, soit en posant les pierres en équilibre les unes sur les autres, soit, le plus souvent en Cévennes, en les calant avec un liant naturel de petit cailloutis et de terre. Cet équilibre prend en compte la morphologie de la pierre, son poids, celui de la structure, mais aussi les forces qui vont s’exercer sur l’ouvrage afin de lui assurer la pérennité. Ce puzzle géant en trois dimensions qui s’apparente à un jeu de patience nécessite d’avoir « l’œil et le toucher » permettant d’appréhender le mieux possible les différents volumes et reliefs de la pierre.

 

Montage d’un mur © Ooh ! Collective
Montage d’un mur © Ooh ! Collective

 

Le mur en pierre sèche est très solide, et peut résister des dizaines voire des centaines d’années, aussi bien aux vibrations des secousses telluriques, qu’à celles du trafic routier et aux pressions de l’eau de pluie et des inondations.

Il a effectivement l’énorme avantage de laisser s’écouler l’eau entre les pierres, grâce à l’absence d’un mortier étanche. Le mur de soutènement en pierre sèche retient la terre et permet aux eaux de pluie de s’écouler en ralentissant leur cheminement. Toutes les terrasses d’un versant contribuent à la rétention de l’eau et constituent une prévention aux risques d’inondations.

En cas de sécheresse, ces mêmes terrasses servent de rétenteur d’eau dont la restitution est différée dans le temps. La terrasse de terre, retenue par le mur en pierre sèche, joue un peu le rôle d’une grosse éponge.

Les ouvrages en pierre sèche sont le plus souvent esthétiques. Pour celui qui les a faits, ces ouvrages ont rendu « bon le pays ». Pour celui qui aime les regarder aujourd’hui, ils structurent la qualité d’un paysage et enrichissent la beauté d’un site.

 

Ce qui est bon à faire est souvent beau à regarder et donne de la qualité à la vie de l’homme. La construction en pierre sèche permet un travail utile, fécond et créatif pour le constructeur et pour l’utilisateur, que ce soit pour l’agriculteur qui retrouve des terres arables ou un particulier qui se repait de la qualité de l’exécution, des formes et des couleurs. (1)

La pratique de la pierre sèche permet la restauration de tout un patrimoine vernaculaire : murs de soutènement, escaliers, niches, cabanes et abris agricoles des montagnes, calades, mur de clôture, etc. Ce patrimoine constitue une mémoire locale et une immense richesse culturelle.(2)

 

Les clochers de tourmente, patrimoine spécifique du cœur de la Lozère et des pays de montagne, servaient à la fois d’angélus (rythme des heures, des fêtes et des assemblées) dans ces hameaux éloignés des églises centrales des paroisses et permettaient, en cas de brouillard, ou de tourmente, aux bergers, aux troupeaux ou aux voyageurs de retrouver le chemin du village. Ils ne sont pas tous en pierre sèche mais certains le sont.

 

Les étapes de construction d’un clocher de tourmente sont les suivantes :

- pose des fondations

- construction de l’embase : c’est la colonne carrée qui sert de support

- création de l’arc avec la joue de la cloche

- construction du sommet triangulaire en pierre.

 

Le clocher d’Oultet

 

C’est un clocher de tourmente un peu spécifique, car il a été construit sur l’ossement du pignon d’un four à pain et les artisans ont procédé au rehaussement du mur en construisant directement sur le mur de l’entrée du four.

Sa cloche, datant de 1872, servait bien entendu de repère au voyageur égaré dans la tourmente mais elle sonnait aussi la sortie du pain du four ou de l’école.

Ce clocher fait partie de l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques depuis le 17 juillet 1992.

 

Clocher de tourmente d’Outlet © Ooh ! Collective
Clocher de tourmente d’Outlet © Ooh ! Collective

 

L’Art environnemental

 

Le savoir-faire de la construction en pierre sèche est magnifiquement utilisé dans l’art environnemental, par certains artistes comme le Britannique Andy Goldsworthy par exemple, qui dans le respect de la nature a créé de somptueuses sculptures avec les matériaux trouvés sur place. Par exemple, dans la réserve géologique de Haute-Provence, son œuvre Refuge d’Art et le parcours de 150 km qui allie art contemporain et sauvegarde du patrimoine. Le parcours relie trois Sentinelles en pierre sèche tailléed réalisées dans trois vallées. Le trajet emprunte d’anciens chemins tout au long desquels on peut découvrir des œuvres ainsi que d’anciens bâtiments en ruine que l’artiste écossais a rénovés afin que le promeneur puisse s’y abriter.

(1) Artisans bâtisseurs en pierres sèches. L’intérêt de la pierre sèche : une pratique contemporaine [en ligne].
Disponible sur : <http://www.pierreseche.fr/lire/index.php?rubid=45> (consulté le 26 juin 2012).

(2) Artisans bâtisseurs en pierre sèche. Arguments pour la pierre sèche [en ligne].
Disponible sur : <http://www.pierreseche.fr/upload/220708_141116_CMSimple_Z8u59a.pdf> (consulté le 26 juin 2012).  

Ça se passe où ?

 Le mont Lozère est le point culminant des Cévennes en Lozère. 

Vue d’Outlet © Ooh ! Collective
Vue d’Outlet © Ooh ! Collective

Non loin de là, entre le Mont Lozère et la montagne du Goulet se trouve la chapelle de Saint-Jean du Bleymard, édifice du XIIe siècle classé monument historique.

C'est quand ?

En toute saison.

Un brin d’évasion

La construction d’un igloo chez les Inuits

Chez les Inuits, la construction d’un igloo peut prendre entre une petite heure si son usage est temporaire, à deux jours pour une habitation spacieuse, familiale et permanente. Il faut tout d’abord choisir le bon endroit, c’est-à-dire une neige ferme, mais assez facile à couper.

Une fois les contours délimités, le travail de la coupe de la neige en blocs commence. La neige sert aussi bien de brique que de mortier. Les blocs sont positionnés de façon circulaire pour éviter que l’igloo ne s’écroule. Une partie des blocs de la première rangée sont taillés en biseaux, ces derniers étant le point de départ sur lequel seront posés les blocs de la deuxième rangée. Cette inclinaison va permettre de monter les murs en spirale jusqu’à la clef de voûte. Le travail s’effectue par l’intérieur de l’igloo et si la neige est bonne les blocs sont entièrement construits avec celle qui se trouve sur le futur sol de l’habitation. À l’aide de son couteau à neige, chaque bloc est ajusté.

L’inclinaison des murs s’accentue à mesure qu’on se rapproche du haut. Les derniers blocs sont délicats à poser et doivent être parfaitement ajustés. L’igloo acquiert sa résistance à partir du moment où le dernier bloc est posé. Il peut alors supporter le poids d’un homme. Une porte est découpée. S’ensuit le calfatage qui consiste à boucher à l’aide de neige les interstices afin de préserver la chaleur. Un trou au plafond sert de cheminée et un autre situé près de la porte permet à l’air frais d’entrer.
La chaleur intérieure combinée au vent extérieur cimente les blocs.

La forme arrondie de l’igloo est un exemple parfait des formes fondamentales de l’architecture.  

Un brin d'histoire

Mur en vague © Artisans Bâtisseurs en Pierre Sèche
Mur en vague © Artisans Bâtisseurs en Pierre Sèche

Bien que très développée en Lozère, la construction en pierre sèche se retrouve dans le monde entier et remonte à l’âge de fer. Ce savoir-faire s’est développé avec l’activité agricole. La technique s’impose en France du XVIIe au XIXe siècle afin d’optimiser l’aménagement et l’exploitation des terres et des chemins.

La Lozère et ses clochers de tourmente

« Dans notre région, on compte de nombreux hameaux et villages traditionnels, façonnés par les hommes au cours des âges.
Le relief de notre canton, avec une altitude assez élevée, entraîne des conditions climatiques particulières. Ainsi, les hivers sont rudes et la tourmente balaye les versants où ces petits villages demeurent isolés.

La tourmente, c’est le mélange diabolique du vent et de la neige, qui entraîne le berger ou voyageur dans un égarement total. 

Chapelle et Prieuré de Saint-Jean du Bleymard © Ooh ! Collective
Chapelle et Prieuré de Saint-Jean du Bleymard © Ooh ! Collective

Aucune visibilité, la perte de tout repère, une sorte d’état d’hypnose, un destin qui bascule en quelques secondes... on dit que les hommes qui se sont trouvés dans la tourmente ont connu un avant-goût de l’enfer et de la terreur.
Du moins ceux qui y ont survécu... car nombre de bergers et de voyageurs ont succombé à cet événement terrible, parfois à quelques mètres d’une habitation...

Comme pour répondre à cette puissance, les hommes ont bâti dans ces hameaux, des clochers de tourmente. 
Lorsque celle-ci s’abattait sur les contrées, on actionnait les cloches, parfois pendant plusieurs jours. Leur son permettait aux voyageurs égarés de trouver un repère spatial et l’espoir d’arriver jusqu'à une habitation.[...]
Les clochers étaient protecteurs, ils servaient aussi à éloigner l’orage et donc protéger les hommes, les bêtes et les récoltes jusqu’au jour où leur usage fut interdit, car ils envoyaient la foudre dans les villages voisins. »

Office de Tourisme Mende Cœur de Lozère. Sur les traces des clochers de tourmente [en ligne].
Disponible sur : <http://tourisme-lozere.com/clochers-tourmente.htm> (consulté le 26 juin 2012).

Un brin de poésie

Enfant, je vivais dans ce pays

Enfant
Je vivais ce pays
Je le respirais simplement

Je le buvais
Comme on boit
L’eau de la source

Je le regardais
Comme on regarde
Le ciel et les nuages

Je le voyais
Comme on voit
Le blé pousser

Il était là
Comme l’arbre
Est toujours présent

Ce pays simple et froid

Dur

Et tendre
Pourtant

Ce pays d’eau
Et d’oiseaux

De loups
De cailloux

Ce pays de vipères
Et de chemins de terre

Lozère
Comme une pierre
Qui garde son mystère...

Alphonse Salafia, 2004

Mas Le Gal © Mr et Mme Crichton-Miller
Mas Le Gal © Mr et Mme Crichton-Miller

Petit abécédaire

ASSISE D’UNE PIERRE : surface sur laquelle la pierre repose. C’est l’assise qui déterminera la bonne stabilité.

LA BOUTISSE : longue pierre de liaison, la plus massive possible qui relie les parements intérieur et extérieur, tous les mètres carrés environ et stabilise l’ensemble de la construction. (*)

LE COURONNEMENT (ou arasement) : c’est le dernier lit de pierre posé sur le mur. Il prévient contre la dégradation des parties supérieures de l’ouvrage qui pourrait se propager dans l’ouvrage entier. Il peut prendre plusieurs formes, horizontale ou verticale. (*)

MUR DE SOUTÈNEMENT : mur qui sert à contenir la poussée des terres ou des eaux, à épauler un remblai ou une terrasse.

LA PANNERESSE (ou carreau) : pierre dont toute la longueur est présentée en façade du mur permettant ainsi de relier entre elles plusieurs pierres du parement. (*)

LE PAREMENT EXTÉRIEUR : face visible du mur dont le bâtisseur aura tout particulièrement soigné l’alignement. (*)

LE PAREMENT INTÉRIEUR : face non visible du mur côté sol naturel et remblai.La poussée s’exerce sur l’ensemble de l’ouvrage.(*)

LA PIERRE : élément constitutif du mur qui selon sa taille et sa forme, aura une place et un rôle spécifique dans le mur de soutènement. Trois types principaux de roches en Cévennes, le schiste, le granite et le calcaire.

LES PIERRES DE BÂTI : boutisses, parpaings ou panneresses, elles constituent la trame du mur et assurent sa bonne tenue. (*)

LES PIERRES DE BLOCAGE (ou pierres de remplissage, blocaille, fourrure): pierres ne présentant pas de faces, de tout calibre, destinées à l’organisation et au remplissage interne du mur. (*)

LES PIERRES DE CALAGE : pierres généralement de petites tailles, servant à caler entre elles les autres pierres. (*)

LES PIERRES DE COURONNEMENT (ou couvertines) : pierres qui assurent la finition du mur, elles sont choisies selon le type d’appareillage que l’on met en œuvre. (*)

LES PIERRES DE DRAIN : débris ou cailloutis de petits formats qui servent de remplissage à l’arrière pour former un drain supplémentaire et protéger le parement arrière du mur de l’envahissement progressif par les terres. Elles jouent un rôle de premier filtre entre le talus et le mur. (*)

LES PIERRES DE PAREMENT (ou moellons) : pierres de dimensions variables présentant une face soit naturellement, soit après taille que l’on destine au parement extérieur du mur auquel elles donnent sa partie visible. (*)

LE SOCLE (ou fondation) : c’est le premier lit de pierres sur lequel le mur va reposer. (*)

(*) CAPEB, Pierre sèche : Guide de bonnes pratiques de construction de murs de soutènement, Lyon : École nationale des travaux publics de l’État, 2008, 157 p.

Sources 

POUGET Laurent (photographe), CONTOU-CARRÈRE, Barbara. Mémoire de Lozère : regards sur un plateau de Lozère. Association Ethnovision, 2009.

CAPEB Pierre sèche : Guide de bonnes pratiques de construction de murs de soutènement, Lyon : École nationale des travaux publics de l’État, 2008, ISBN-2-86834-124-1.

CAGIN Louis, NICOLAS Laetitia, Construire en pierre sèche. Paris : Eyrolles, 2011, 190 p.

Office de Tourisme Mende Cœur de Lozère. Sur les traces des clochers de tourmente [en ligne].
Disponible sur : <http://tourisme-lozere.com/clochers-tourmente.htm> (consulté le 26 juin 2012).

Artisans bâtisseurs en pierre sèche [en ligne].
Disponible sur : <http://www.pierreseche.fr/> (consulté le 26 juin 2012).

WILKINSON Douglas. Comment construire votre iglou [vidéo en ligne]. Montréal : Office National du Film du Canada, 1949.
Disponible sur : <http://www.onf.ca/film/comment_construire_votre_iglou> (consulté le 26 juin 2012).

Association des Amis de la Lozère. Le Site pour découvrir et aimer la Lozère [en ligne].
Disponible sur : <http://www.amilo.net/> (consulté le 26 juin 2012).

Dictionnaire Larousse [en ligne].
Disponible sur : <http://www.larousse.fr/> (consulté le 22 juin 2012)

Liens utiles

Pour découvrir l’œuvre d’Andy Goldsworthy :

The CASS Sculpture Foundation: http://www.sculpture.org.uk/AndyGoldsworthy/

Université de Cincinnati : http://www.ucblueash.edu/artcomm/web/w2005_2006/maria_Goldsworthy/TEST/index.html

et son œuvre Refuge d’Art :

Musée Gassendi : http://www.musee-gassendi.org/presentation-de-refuge-d-art.html

Pour découvrir l’œuvre de Richard Long :

Portail du Land Art : www.landarts.fr/tag/richard-long/

Site du groupe Caleù : http://caleu-le-chant-des-poetes-occitans.e-monsite.com/videos/caleu-terra-de-sistre.html

À écouter 

Céline Lisinski (chant, guitare), Hervé Robert (chant, guitare, violon), Caleù – Terra de Sistre Terra de sistre, MACAREL, 2012