Patrimoine culturel immatériel

Les maîtres carillonneurs de ChambéryLes maîtres carillonneurs de Chambéry

C'est quoi ?

Déjà présente dans des sépultures préhistoriques, la cloche, le plus ancien instrument de musique inventé par l’homme, est connue de toutes les civilisations. Sa puissante résonnance a une portée lointaine qui permet de parler aux hommes ou aux Dieux. De la clochette au bourdon, son rôle est tant profane que religieux.

Mais l’instrument se développe avec l’arrivée du carillon qui comportait trois cloches, qu’on « trillonnait », puis quatre cloches qu’on « quadrillonnait » pour annoncer les heures. Le quarregnon, qui vit le jour au XIIIe siècle, était relié par des cordes aux quatre membres du carillonneur, permettant ainsi d’en jouer du bas du clocher. C’est l’ajout de cloches qui nécessita l’utilisation d’un clavier de bois vers 1510. Le premier pédalier de carillonneur naquit en 1583 à Malines.

Mais l’art du fondeur est d’accorder l’instrument en maîtrisant le profil des cloches, son timbre, ses notes, ses harmoniques. Cette notion d’accord n’apparaitra vraiment que vers 1930.

Conçu pour l’Exposition universelle de Paris en 1937, le premier carillon de 37 cloches accordé est créé par la fonderie Paccard. Ce carillon aura un succès à la hauteur de sa grandeur et sera placé dans la tour Yolande de la chapelle du château de Chambéry. Grâce à la générosité des Chambériens et des Savoyards, le plus grand carillon d’Europe vit le jour en 1993. Il est composé de 70 cloches, pèse 42 tonnes avec son beffroi et a été conçu d’un seul tenant.

Carillon de 1937 © Ooh! Collective
Carillon de 1937 © Ooh! Collective

La précision de l'accordage
La cloche est un véritable instrument de musique.
Mise en vibration, elle fait entendre un son principal appelé Fondamentale et aussi note au coup, parce que le plus puissant en décibels à l’instant de la frappe, puis des sons secondaires nommés harmoniques ou partiels.
L’ordre de ces sons dans l’échelle sonore est : hum, fondamentale, quinte octave et tierce, ils sont parfaitement mesurables.
L'intensité et la variété de ces différentes harmoniques constituent le timbre, propre à chaque cloche.
La cloche a cependant une particularité : sa cinquième harmonique est diminuée d’un demi-ton ce qui lui fait sonner une tierce mineure (alors que dans tous les autres instruments de musique cette cinquième harmonique est une tierce majeure). C'est cette tierce mineure qui confère à la cloche ce timbre si particulier, un peu mélancolique
Un soin tout particulier est apporté à l'accordage de chacune des cloches.
Cette technique consiste à modifier légèrement son profil, si besoin est, par enlèvement de métal à l'intérieur de la cloche afin d'ajuster parfaitement la note finale.
Ces cinq notes (fondamentale et harmoniques) résonnant ensemble donnent le timbre ou couleur sonore de la cloche.
Toutes les notes de chaque cloche sont accordées au centième de 1/2 ton.
Si des appareils électroniques permettent aujourd'hui de contrôler la justesse de l’accordage de ces cinq premières notes, c'est l'oreille de l’accordeur qui détermine la couleur sonore finale de la cloche.
Le Facteur de carillon accorde non seulement chaque cloche en elle-même, mais également toutes les cloches d'un même carillon avec la même couleur sonore pour réaliser un instrument homogène.
Dans le monde entier, seul un très petit nombre de fondeurs de cloches possède et maîtrise cette technique d'accordage. Ils portent le nom de « facteurs de carillons. »
D’après les informations de Mr Jean-Pierre Vittot et de: Cloches de Carillon PACCARD [en ligne]. Groupe Paccard.
Disponible sur : <http://www.paccard.com/fonderie/fr/cloches_de_carillon.php> (consulté le 29/08/2012)

 

Clavier du carillon de Chambéry © Ooh! Collective
Clavier du carillon de Chambéry © Ooh! Collective

 

Ça se passe où ?

Chambéry est la capitale du département de la Savoie.

Le château des Ducs de Savoie
« Construit à l'extrémité de la colline de Montjay (Chambéry), le château des Ducs de Savoie fut la résidence principale de la maison de Savoie de 1295 à 1563. Incendié à plusieurs reprises, il se compose aujourd'hui d'un ensemble de bâtiments dont les constructions s'échelonnent du XIVe au XIXe siècle. Il est composé de la tour des archives, les salles basses, la porterie, la tour demi-ronde, la tour Yolande, le portail Saint Dominique, la Sainte Chapelle, la tour de la trésorerie, l'aile du roi et les jardins.

La Sainte Chapelle fut construite en 1408, de style gothique flamboyant. Son chevet s'intègre au système de défense et domine la ville. La Duchesse Christine de France fit refaire la façade, suite à un incendie, dans le style baroque piémontais. Lors de la Révolution française, elle aurait été transformée en grange à foin. Depuis 1836 elle fait l'objet de travaux de rénovation. Le Saint-Suaire y reposa de 1502 à 1578. Il fut acheté par les Ducs de Savoie qui à l'époque était une famille importante et riche en Europe. Elle possède désormais une reproduction de la relique, l’original demeurant depuis 1578 à Turin en Italie.

Sainte Chapelle © Ooh! Collective
Sainte Chapelle © Ooh! Collective

La tour Yolande est située à droite de la Sainte Chapelle, contre son flan. Elle fut construite dans la seconde moitié du XVe siècle, grâce à la dot de Yolande de France, sœur de Louis XI et épouse du Duc Amédée IX. Elle abrite un carillon de 70 cloches qui a remplacé en 1993 l'ancien carillon de 1937. Ils furent tous deux financés en grande partie par les habitants de Chambéry et les Savoyards qui ont répondu aux souscriptions lancées en 1937 et 1992 pour leur construction. Les cloches ont été réalisées par la fonderie de cloches Paccard.

L’instrument de 1993 était le plus grand d’Europe lors de sa construction de par le nombre de cloches et le plus performant du monde grâce aux innovations techniques qui le composent.

Le carillon de 1937 a quant à lui, été installé en montre en 2007, dans l’enceinte du château à proximité de la tour Trésorerie.

Le Château des Ducs de Savoie [en ligne]. 123 Savoie.
Disponible sur : <http://www.123savoie.com/article-11192-1-chateau-des-ducs-a-chambery.html> (consulté le 29/08/2012)

C'est quand ?

Le carillon peut se cacher dans les clochers des églises, des cathédrales, des beffrois ou des campaniles... On peut les entendre lors de festivals, de concerts hebdomadaires, mais également lors de fêtes traditionnelles, religieuses ou simplement pour célébrer les vêpres... 

Un brin d'histoire

Histoire de la cloche

« La cloche existe depuis la plus haute Antiquité. Les Chinois en fabriquaient dès le deuxième millénaire avant notre ère. Les Égyptiens et les Phéniciens ont également fourni de nombreuses clochettes. La Macédoine, la Grèce et l'Italie les employèrent pour une foule d'usages (ouverture des bains, marchés, spectacles…).

De toutes tailles, de toutes formes, la cloche est présente sur tous les continents et dans toutes les grandes civilisations. La Bible elle-même fait référence à des clochettes d'or réparties sur les pans de la robe du prêtre Aaron: "le son des clochettes se fera entendre quand il [Aaron] entrera devant le Seigneur dans le sanctuaire..."

Cloches du carillon de Chambéry © Ooh! Collective
Cloches du carillon de Chambéry © Ooh! Collective

Les premiers chrétiens en firent un symbole d'appel et de ralliement messianique : le Signum. Selon la tradition, Saint Paulin (353 - 431), Évêque de Nole (Italie, Campanie), introduisit l'usage des cloches dans l'Église et leur sacralisation.

À la fin du VIIe siècle, ces cloches, de petites tailles, étaient fondues sur place, à proximité des églises et monastères, par les fondeurs de cloches, artistes itinérants, encore appelés saintiers (car ils décoraient leurs cloches avec des effigies de Saints). La cloche de Fontenaille (1202) - la plus vieille cloche de France - fut coulée par l'un d'eux.

Avec le développement du chemin de fer, les saintiers construiront des fonderies et cesseront de se déplacer au XIXe siècle. 

Avant la Première Guerre mondiale, la France possédait plus de cent ateliers de fondeurs de cloches. Aujourd'hui, seules trois fonderies de cloches françaises perdurent, dont la Fonderie Paccard, n°1 mondial des cloches d'églises et de carillons.»

Histoire de la fonderie PACCARD

« Créée en 1796, la fonderie PACCARD est détentrice d'un savoir-faire ancestral transmis de père en fils depuis 7 générations. En 1891, elle fondit la plus grosse cloche de France : la "Savoyarde" du Sacré-Cœur de Montmartre.  Après la Première Guerre mondiale, ils développèrent l’accordage des cloches, ce qui permit à la fonderie de devenir le spécialiste de carillons. Sa renommée en effet tient à ses procédés de moulage, mais aussi et surtout à sa maîtrise du timbre et de la note. 

En 1986, il réalisa ainsi la plus grosse sonnerie en volée du monde : 3 cloches de 6, 10 et 19 tonnes destinées au Canada. En 1989, la fonderie réalisa de nombreux carillons, tel que le carillon de Chambéry (plus grand carillon d'Europe). En 1998, ce fut le tour de la World Peace Bell, la plus grosse cloche en volée du monde avec ses 33 tonnes. » 

Historique de la Fonderie PACCARD [en ligne]. Groupe Paccard.
Disponible sur : <http://www.paccard.com/musee/fr/historique_fonderie_paccard_02.php> (consulté le 29/08/2012)

Un brin de poésie

Extrait de l’Ode à la paix ...

[...]

Montre toi belle, aiant d’olive
Au front un gai chappeau tout frais,
Et riant à ta France, arrive
O paix, o bienheureuse paix.

Vienne avec toi d’or toute ornée
Venus, aiant son Ceste ceint
Menant le ioieux Hymenee,
D’une robbe de pourpre peint.
Les ieux, les ris, la chere,
Pas, à pas, te tiennent de pres,
Te soutenant leur Roine chere
O paix, o bienheureuse paix.

Lors que l’apre assaut prendra voie,
Pour au choc ces Princes irer,
Comme griphons, qui à la proie
Accoup se veulent déchirer,
Approche toi, ah ne les laisse
Se donner au sort hazardeux,
Mais te montrant estre Déesse,
Soudain plante toi entre deux.

Les développant de leurs doutes,
Fai les en rond amonceller :
Et lors qu’ils seront aux écoutes,
Ravis à ton divin parler,
Remontre leur qu’a eux t’envoient
Les célestes, meuz de leurs faits :
Lors comme un saint ange te croient
O paix, o bienheureuse paix.

[...]

Marc-Claude de Buttet,

Poète savoisien né à Chambéry en 1530.

DE BUTTET, Marc Claude. Ode à la paix [en ligne].
Disponible sur : http://books.google.fr/books?id=bjs8AAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q=montre%20toi&f=false> (consulté le29/08/2012)

Clavier du carillon © Ooh! Collective
Clavier du carillon © Ooh! Collective

Petit abécédaire

Issu du lexique de la fonderie PACCARD 

BATTANT : pièce en métal ferreux attaché au centre de la cloche qui vient frapper la cloche au point de frappe intérieur pour la faire sonner.

CAMPANAIRE : adjectif qui désigne ce qui est relatif aux cloches et à leur fabrication.

ANGÉLUS : sonnerie rappelant la salutation de l'Ange Gabriel à la Vierge Marie lors du Mystère de l'Annonciation. Créée au XIe siècle par le Pape Urbain II, sous la forme d'une double récitation (soir et matin), son usage fut généralisé par le roi Louis XI en 1472, qui lui donna également sa fréquence actuelle : matin, midi et soir. Le plus souvent, cette sonnerie se présente sous la forme de trois fois trois coups, vers 7 h, midi et 19 h, horaires pouvant varier selon les régions.

AUTEL : seuil de la porte d'un four par laquelle on introduit (sacrifie) les métaux.

BRAILLARD : cloche servant à sonner le tocsin. Sa forme volontairement déformée donne un son désagréable et anxiogène.

CARILLON : Ensemble de plusieurs cloches permettant de jouer des mélodies. La guilde mondiale des carillonneurs définit qu'un carillon doit comporter un minimum de 23 cloches accordées et jouées sur un clavier manuel.*

CLARINE : petite cloche en bronze au profil mince que l'on pend au cou des vaches dans les alpages. Son procédé de fabrication (moulage au sable) est différent de celui des cloches d'églises et de carillon (cire perdue).

CLAVIER D'ÉTUDE : identique au clavier manuel de tour, mais non relié à des cloches, ce clavier a été développé pour permettre aux carillonneurs de s'entraîner. Il est généralement relié à un métallophone, des clochettes de verre ou utilise un synthétiseur.

CLOCHE BANALE : également désignée sous le nom de "bancloche", cette cloche servait à convoquer les habitants d'une ville ou d'un village afin d'annoncer une nouvelle importante.

FACTEUR DE CARILLONS : nom donné aux fondeurs de cloches maîtrisant la technique d'accordage qui leur permet de fabriquer des carillons composés de cloches parfaitement justes et harmonieuses.

FONDEUR : professionnel de la fonderie de cloche qui doit maîtriser tous les aspects de la profession.

GLAS : Sonnerie grave et funèbre annonçant un décès. Par extension, le glas désigne également la cloche utilisée pour cette sonnerie. Celle-ci a un profil particulier, donnant un son très mélancolique, voire lugubre.

GRELOT : petite clochette de forme sphérique, creuse, en bronze, en acier ou en laiton, contenant une bille de métal ou d'argile (voire même un simple caillou) qui vient frapper la clochette au moindre mouvement.

HANDBELLS : Ensemble de clochettes à main en bronze, avec un manche souple en cuir ou en plastique, accordées de manière chromatique.

HARMONIE : Accord et équilibre entre les différents partiels qui composent le timbre (voix) d'une cloche.

Jean-Pierre Vittot accordant son carillon © Ooh! Collective
Jean-Pierre Vittot accordant son carillon © Ooh! Collective

HUM : Partiel le plus grave du timbre de la cloche.

JACQUEMART : Automate d'art sonnant les heures sur une cloche à l'aide d'un petit marteau, au sommet d'un clocher ou d'un beffroi ajouré.

MONOCORDE : vieil instrument à cordes donnant un son de référence utilisé autrefois pour contrôler ou accorder le son de la cloche.

NOLE : ville de Campanie, en Italie, rendue célèbre par son évêque Saint Paulin, à qui l'on doit l'introduction de la cloche dans la liturgie chrétienne et la propagation de son usage en Europe. 

PARTIEL : notes composant le son d'une cloche. On peut en étudier plus d'une centaine, mais seuls cinq sont audibles à l'oreille. Leur connaissance est indispensable à la mise au point d'un tracé de cloche.

QUADRILLON : ancêtre du carillon, ensemble de quatre cloches harmonisées et jouées sur un petit clavier.

SAINTIERS ou SAINCTIERS : ancien et joli mot du Moyen Âge désignant le fondeur de cloches. Vient du latin : signum et signifie fabriquant de choses saintes.

SONNAILLE : cloche ou clochette de cuivre, de laiton ou d'acier martelé, que l'on attache au coup des vaches dans les alpages.

SURJOUG : art populaire du sud-ouest de la France (seconde moitié du XIXe siècle). Carillon d'attelage en bois, en forme de fuseau ajouré et coloré, abritant un ensemble de petites clochettes. On le plaçait autrefois sur le joug unissant deux animaux de bât pour stimuler leur marche.

TOCSIN : Cloche dissonante servant à donner l'alarme, annoncer un incendie, un danger...

Sources 

le Grand Carillon de Chambéry. N°6. Chambéry : Les cahiers de guides conférenciers de Chambéry, 1998

VITTOT, Jean-Pierre (dir.). Le Grand Carillon de Chambéry, l'air du renouveau [livret]. Compiègne: Arpège, 2003

GOURIOU, Hervé. L’Art Campanaire en Occident. Paris : Les Éditions du Cerf, 2006, 336 p. (Cerf Histoire)

JUTTET, François. Chambéry : du Château des ducs de Savoie à la ville ancienne. Chambéry : Association des Guides conférenciers de Chambéry, 2008, 48 p.  

Site officiel de la fonderie PACCARD : Fonderies Paccard [en ligne]. Groupe Paccard.
Disponible sur : <http://www.paccard.com/fonderie/> (consulté le 29/08/2012)

Lexique de la fonderie PACCARD : Lexique [en ligne]. Groupe Paccard.
Disponible sur : <http://www.paccard.com/p_lexique.php> (consulté le 29/08/2012)

Extrait de Les Chants du Crépuscule, XXXII - Victor Hugo :
HUGO, Victor. Œuvres complètes de Victor Hugo [en ligne]. Gand : Université de Gand, 2009. 
Disponible sur : <http://books.google.fr/books?id=-yBbAAAAQAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false> (consulté le 29/08/2012)

Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales. Portail Lexical [en ligne].
Disponible sur : <http://www.cnrtl.fr/portail/> (consulté le 21 juin 2012)

Dictionnaire Larousse [en ligne].
Disponible sur : <http://www.larousse.fr/> (consulté le 22 juin 2012)

[S.a], Le Petit Robert des noms propres. Paris : Le Robert, 2001.

Liens utiles

ISLER, François. Chambéry, la ville et ses environs. Magland : Neva Editions, 2010, 144p.

Site de l'office de Tourisme de Chambéry: <http://www.chambery-tourisme.com/>

BAUDOT, Dom Jules. Les cloches [en ligne]. Paris : Librairies Bloud et Cie, 1912, 63 p.
Disponible sur : <http://campanologie.free.fr/pdf/Baudot_les_cloches.pdf> (consulté le 29/08/2012)

MUNARI, Daniel. Découverte d’un document inédit concernant le Saint Suaire à Chambéry [en ligne]. Archives départementales de la Savoie.
Disponible sur : <http://www.savoie-archives.fr/1735-titre-menu-gauche.htm> (consulté le 29/08/2012)

À écouter:

VITTOT, Jean-Pierre (dir.), HAAZEN, Jo (interp.). Le Temps du Muguet. Le Grand Carillon de Chambéry, l'air du renouveau. Compiègne: Arpège, 2003

BRAHMS, Johannes, VITTOT, Jean-Pierre (interp.). Wiegenlied