Patrimoine culturel immatériel

L'ardoise en ArdennesL'ardoise en Ardennes

C'est quoi ?

« L’architecture est une expression de la culture. La création architecturale, la qualité des constructions, leur insertion harmonieuse dans le milieu environnant, le respect des paysages naturels ou urbains ainsi que du patrimoine sont d’intérêt public. »
Loi n° 77-2 du 3 janvier 1977 sur l’Architecture. 

Ce savoir-faire du travail de l’ardoise s’offre ici à la vue de tous et a modelé le paysage local. Fontaines, marches d’escaliers, dalles de pavage, perrons, façades, pignons, toitures, cheminées, lucarnes, mais aussi dalles funéraires ou plaques décoratives, ici tout témoigne de la richesse du sol et du savoir-faire ancestral. Châteaux, églises, maisons, ou places, partout où le regard se porte se révèle l’histoire de la région à travers les ardoises.

Lucarnes capucines © Ooh! Collective
Lucarnes capucines © Ooh! Collective

Le massif ardennais est composé de roches schisteuses qui, lors de plissements de l’ère primaire, ont subi des transformations qui lui ont conféré ses qualités et particularités : dureté, imperméabilité, compacité et plans de clivage parallèles. Affleurant le sol, la roche s’est ainsi offerte à l’homme, qui l’a utilisée dès la Préhistoire et a su profiter des richesses de son sol en développant son savoir-faire au point de l’exporter à l’étranger dès le Moyen Âge, par voie fluviale.

Les ardoises ardennaises, loin du noir de celle de l’écolier, sont grises ou argentées et avec des nuances de vert, de bleuté ou de violet. Lorsqu’elles se parent de teintes gris-violet, elles sont alors appelées "violines".

Autrefois, l’ardoise était posée au clou en cuivre sur les planches jointives d’une charpente, mais à partir du XIXe siècle, le crochet sur liteaux se répand. Cependant, le clou reste actuel pour des ouvrages complexes demandant une souplesse d’utilisation ou une finesse des détails, comme les dômes, tourelles ou lucarnes ainsi que pour le patrimoine ancien, parfois protégé au titre de monument historique tel que les châteaux, les églises ou les fermes fortifiées.

L’extraction se faisait dans des mines par une galerie principale équipée d’une voie ferrée et creusée en pente suivant l’inclinaison de la veine rocheuse. Des galeries secondaires menaient aux chambres d’exploitations où étaient extraites les roches. Les mineurs, à l’aide d’explosifs de machines à couper, de détonateurs et de perforateurs, détachaient les blocs du toit, qui étaient débités par les mineurs débiteurs à l’aide de poudre, de pics, de scies à mains, burins, masses ou tenailles, de façon à ce qu’ils puissent être transportés par wagonnets. Appelée bourlotte, la distribution des blocs aux ouvriers de surface se faisait par tirage au sort.

Une fois dans les ateliers de fendage, suivaient les opérations de sciage, quernage et fendage par les scieurs et fendeurs qui à l’aide de scies circulaires ou de scies à main, de burins appelés poignées, de maillets et de ciseaux, fendaient les blocs de schiste appelés spartons, pour les transformer en ardoise de couvertures épaisses de quelques millimètres. Les fendeurs et apprentis prenaient en charge le découpage, qui se faisait à l’aide de moules et donnait à l’ardoise, sa forme définitive.

 

L’ardoise ardennaise n’est plus exploitée aujourd’hui, mais le savoir-faire est toujours vivant. Importée d’Angers, d’Espagne, du Pays de Galles ou du Canada, l’ardoise est toujours utilisée et les couvreurs de la région travaillent encore ce matériau aux reflets lumineux, afin de préserver un patrimoine architectural d’une grande richesse ou simplement lors de constructions neuves, par envie esthétique, ou par souci de conserver une homogénéité dans le paysage.

Ça se passe où ?

Château abbatial d'Elan © Ooh! Collective
Château abbatial d'Elan © Ooh! Collective

Elan

Situé à 12 km de Charleville-Mézières, Elan est un petit village de Champagne-Ardenne de 77 habitants en 2012, qui détient un riche patrimoine : Notre-Dame d’Elan, le témoin de l’ancienne abbaye cistercienne. En effet, l’abbaye d’Elan a été fondée en 1148 par le moine Roger, d’origine anglaise qui lui donna le nom d’Estland, « terre de l’est ». Entourés de forêt de hêtres et de sources, les Cisterciens défrichent, bâtissent et créent moulin à grains, forges et canaux. Aux alentours, ils exploitent des carrières, plantent des vignes, creusent des étangs. Mais au XVIe siècle, les abbés sont désignés par les rois et prélèvent alors la moitié des revenus des abbayes. La situation devient donc critique. En 1710, la majeure partie de l’abbaye est délaissée à une riche famille. La chapelle Saint-Roger est alors édifiée. En 1791, les derniers moines quittent le site et les bâtiments sont mis en vente et divisés entre plusieurs familles.

En 1840, l’église abbatiale est préservée afin d’en faire l’église paroissiale qu’on connait aujourd’hui. En juin 2012, après de nombreux mois de restauration, dont celle de la toiture complète en ardoise, un nouveau coq, est installé tout en haut du clocher.

Rimogne

Rimogne est une petite commune située à 15 km de Charleville-Mézières qui s’est développé grâce et autour de l’activité ardoisière. La Maison de l’Ardoise qui permet de découvrir l’histoire de l’extraction de l’ardoise rouvre ses portes le 1er mai 2012 après 4 années de fermeture sur le site connu sous le nom de « La Centrale » qui permettait de centraliser la production et la distribution d’énergie dans les exploitations.

La ville a su développer une activité en exploitant les verdoux, qui sont les déchets des exploitations, un amoncellement de débris d’ardoise et de blocs de schistes qui restaient dans les paysages et étaient petit à petit recouverts par la végétation. Broyés en poudre pour servir de matériau de charge ou en paillette pour créer des chapes d’étanchéité. Ces verdoux tendant aujourd’hui à s’épuiser, l’activité a nécessité l’ouverture d’une nouvelle carrière de schiste ardoisier.

C'est quand ?

À la naissance d’un logis, afin de lui offrir une protection.

Un brin d’évasion

La Toiture-terrasse en Kabylie

«  La maison Kabyle est construite avec des matériaux naturels et locaux ne nécessitant pas d’importantes transformations et sans intervention d’une quelconque forme d’énergie.

[...] La maison kabyle est entièrement recyclable : ses matériaux peuvent être récupérés, soit pour être réutilisés dans la construction, soit utilisés pour un autre besoin ou simplement retourner dans la nature. »

« La toiture-terrasse repose comme la toiture à tuiles sur des poutres en bois souvent en frêne disposées dans le sens de la longueur, dont la poutre maitresse est appelée asselas alemmas,. Ces poutres reposent sur les piliers tiguejda.

Des troncs d’arbres constituant les liteaux sont disposés ensuite dans le sens transversal et entre les espaces les séparant, on ajuste des branches de bois.

Toute la surface sera recouverte de plaques de liège ou autres écorces.

Sur cette dernière surface, on étale une couche de petites pierres qu’on couvrira par la suite d’un mortier de terre qu’on tâchera de bien tasser pour une meilleure imperméabilité à l’eau. Une bordure de pierres plates est ensuite disposée pour empêcher les eaux d’écouler le long des mûrs. »

ALIANE Ouahiba, SALHI Mohamed Brahim. Savoir-faire vernaculaire de l’architecture kabyle [en ligne]. Université Mentouri Constantine.
Disponible sur : <http://www.umc.edu.dz/vf/images/patrimoine/axe1/ALIANE-ARTICLE.pdf> (consulté le 07/09/2012)

Un brin d'histoire

Restauration du toit de l'église d'Elan © SARL SAC Jean-Marie et Fils
Restauration du toit de l'église d'Elan © SARL SAC Jean-Marie et Fils

 

Histoire et exploitation de l’Ardoise en Ardennes

 

Dès les époques magdaléniennes et néolithiques dans la région, les hommes ont su extraire l’ardoise qui affleurait à la surface du sol, pour l’utiliser comme support de leurs productions matérielles puis pour les constructions. Les Romains l’extractent et l’utilisent également comme pavage. Puis l’exploitation est abandonnée et doit attendre l’expansion monastique qui lui redonne un essor décisif.

À partir du XIIe siècle, les moines obtiennent des seigneurs l’autorisation d’extraire l’ardoise. L’activité économique s’organise. Puis les moines sont remplacés par des entreprises privées qui développent une véritable industrie permettant aux habitants de la région d’avoir du travail là où l’agriculture et les exploitations forestières devenaient insuffisantes. Les couches souterraines exploitées sont plus profondes et la roche extraite de meilleure qualité.

Au XVIIIe siècle les Encyclopédistes s’intéressent de près à l’étude des ardoisières de Rimogne et en font des relevés précis. Les exploitants se regroupent en sociétés. Le XIXe et le début du XXe sont marqués par une intense activité, mais celle-ci décline à partir des années 1930. Les charges s’alourdissent, les problèmes de la main d’œuvre, la concurrence étrangère, les nouveaux matériaux lui assènent son coup de grâce, et la dernière fosse ferme en 1971.

 

Le paysage est aujourd’hui toujours empreint de cette époque industrielle et de ce savoir-faire, et même si beaucoup de sites liés à l’exploitation de l’ardoise ont été détruits, il reste tout de même certains témoins de l’implantation industrielle, des ensembles architecturaux, les couvertures et bardages des maisons, ainsi que les verdoux et bien entendu les nombreuses ouvertures des galeries des exploitations en sous-sol qui elles, bien qu’invisible, resteront à jamais marquées par le passage de l’homme.

 

Traçage de la forme de l'ardoise © Ooh! Collective
Traçage de la forme de l'ardoise © Ooh! Collective

Un brin de poésie

Chant à Sainte-Barbe

Refrain
Sainte-Barbe, ô douce patronne
Tu nous vois à tes pieds, implorant ton secours
Quand le rocher s'abat ou que la mine tonne
Veille, veille, sur nous toujours. (Bis)

1
Quand nous descendons à l'aurore
En toi nous mettons notre espoir
Et là, sous la voûte sonore
Combien n'ont pas revu le soir

2
Dans les entrailles de la terre
Quand il affronte le danger
À toi, dans son humble prière
Le mineur aime se confier

3
Quand nous menacent les orages
Que tout est noir à l'horizon
Écarte de nous leurs ravages
Sainte-Barbe, nous t'implorons

4
Soldat du feu, risquant ta vie
Au service de ton prochain
Alors que gronde l'incendie
Sainte-Barbe, guide ta main

5
Dans les rudes travaux, nos pères
Aimaient jadis à t'invoquer
Comme eux, ouvriers des carrières
Nous accourons pour te prier

6
À l'entrée des tunnels tu veilles
Sur ceux qui creusent le terrain
Pour eux sauvegarde et surveille 
Tous ces ouvrages souterrains.

Site : http://www.stebarbe.com/chant.htm

Taillage de l'ardoise © Ooh! Collective
Taillage de l'ardoise © Ooh! Collective

Petit abécédaire

L’ARDOISE : roche schisteuse se débitant en feuillets minces.

L’ARDOISIER : personne qui possède ou qui travaille dans des carrières. (1)

LA BOURLOTTE : tirage au sort effectué par les fendeurs pour déterminer le « tour de pierre ». (2)

LE BROYAGE DE SCHISTE : activité d’avenir qui a débuté en 1934, motivée par l’envie d’utiliser la quantité importante de déchets lors de l’extraction de l’ardoise. Cette activité se développe énormément et absorbe la majorité de la pierre extraite lors des dernières années de l’exploitation des mines. Les paillettes d’ardoises sont utilisées pour le surfaçage des chapes d’étanchéité, et les poudres servent de matériau de charge dans le bitume ou le mastic par exemple.

LE CLIVAGE : surface suivant laquelle une roche se fend. (2)

LE COUVREUR : artisan dont le métier est de construire ou réparer les toitures. (1)

LE CRABOTEUR : ouvrier qui avait comme tâche de creuser les galeries.

DROITE, ÉPAULÉE ou EN ÉCAILLE : formes données aux ardoises

LE FAÇONNAGE : ultime étape dans la chaîne au cours de laquelle l’ouvrier fixe définitivement la forme et les dimensions des ardoises.

LE FENDAGE : division de la roche en feuillet en suivant le sens naturel des couches. Cette opération demande une grande connaissance du matériau.

LE LONGRAIN : fil de la pierre correspondant à une orientation des particules selon une direction particulière.

LUCARNE CAPUCINE : réalisée entièrement en charpente, couverte et bardée d’ardoises, la lucarne capucine est assez étroite.

LA POIGNÉE : long burin utilisé par les fendeurs pour le quernage. (2)

LE PORTAGE : opération consistant à remonter les pierres des mines ainsi qu’à évacuer les déchets.

LE QUERNAGE : opération de division des blocs de schiste dans le sens opposé du longrain. La cassure est perpendiculaire par rapport au plan de fissilité.

SAINTE-BARBE : sainte patronne des ardoisiers.

LE VERDOU ou VERDAU : monticule de déchets issus des travaux de surface.(2)

(1) Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales. Portail Lexical [en ligne]. Disponible sur : <http://www.cnrtl.fr/portail/> (consulté le 07/09/ 2012)

(2) CHARPAIL, Marie-Pierre, Ardoise en Ardennes.Epernay : ORCCA Éditeur, 1995, 32 p. (Patrimoine et Innovations)

Sources 

CHARPAIL, Marie-Pierre, ANDRÉ, Marc, PERESSON, Jean-Paul. L’Ardoise –Sentiers et circuits en Ardennes. Epernay : Office Régional Culturel Champagne-Ardenne, 1997.

CHARPAIL, Marie-Pierre, Ardoise en Ardennes.Epernay : ORCCA Éditeur, 1995, 32 p. (Patrimoine et Innovations)

MEERSCHMAN, Jean-Michel. Abbaye Notre Dame d’Elan. Châlons-en-Champagne : Région Champagne-Ardenne, [s.d].

Brochure : Le village d’Elan. Commune d’Elan.

Loi n° 77-2 du 3 janvier 1977 sur l'architecture [en ligne]. Légifrance.
Disponible sur : < http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=9E10A786E842C6AFCCD72B11E4C6339F.tpdjo10v_3?cidTexte=JORFTEXT000000522423&dateTexte=20120907> (consulté le 07/09/2012)

Site officiel de Rimogne [en ligne].
Disponible sur : <http://www.rimogne.com/> (consulté le 07/09/2012)

ALIANE Ouahiba, SALHI Mohamed Brahim. Savoir-faire vernaculaire de l’architecture kabyle [en ligne]. Université Mentouri Constantine.
Disponible sur : <http://www.umc.edu.dz/vf/images/patrimoine/axe1/ALIANE-ARTICLE.pdf> (consulté le 07/09/2012)

Chant à Sainte-Barbe [en ligne]. Association Sainte-Barbe des Mines.
Disponible sur : <http://www.stebarbe.com/chant.htm> (consulté le 07/09/2012)

Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales. Portail Lexical [en ligne].
Disponible sur : <http://www.cnrtl.fr/portail/> (consulté le 07/09/2012)

Dictionnaire Larousse [en ligne].
Disponible sur : <http://www.larousse.fr/> (consulté le 07/09/2012)

Liens utiles

Site officiel de la Région Champagne Ardenne : http://www.cr-champagne-ardenne.fr/

Service départemental de l’Architecture et du Patrimoine des Ardennes : http://www.culture.gouv.fr/culture/sites-sdaps/sdap08/

RENAUD, Henri. Charpente et Couvertures. Paris : Eyrolles, 2010, 73 p. (Maisons individuelles)

BLANCHECOTTE, Jean-Marc (dir.). Espaces du sous-sol, une inspiration pour demain. La Pierre d’Angle. Paris : ANABF, 2012 ( n°59 ).

Site du CdMDT 63 Les brayauds : http://brayauds.free.fr/

Page du groupe Bardane Trio : http://brayauds.free.fr/fiche_groupe.php?id=4

À écouter :

Bardane Trio, CHAMPION, Didier / CHAMPION, Éric / LENORMAND, Fabrice / ROGOWSKI, Sonia / BRÉMAUD, Basile, Sous les maisons, Le Jardin de Theix, CdMDT 63, Les Brayauds, 2009