Patrimoine culturel immatériel

U catenacciù à SartèneU catenacciù à Sartène

C'est quoi ?

« Un hè micca festa tutti i ghjorni »
Ce n’est pas fête tous les jours (*)

« Nudi, semu tutti li stessi »
Nus, nous sommes tous semblables (*)

« Oghje hè odhje, è dumane hè dumane »
Aujourd’hui c’est aujourd’hui, et demain c’est demain (*)

U Catenacciù avant le départ de la procession © Ooh! Collective
U Catenacciù avant le départ de la procession © Ooh! Collective

Dans les rues sombres de Sartène, à la lueur vacillante des bougies posées devant les fenêtres, évolue doucement la procession composée d’hommes cagoulés marchant pieds nus. À leur tête, le pénitent, u catenacciù, littéralement « le porteur de chaînes ». Il mène la procession afin de se faire pardonner ses péchés. Il est drapé d’une tunique rouge, couvert d’une cagoule afin de préserver son anonymat et marche pieds nus. Il avance péniblement au son lancinant des « Perdono mio Dio ; Mio dio perdono ; Perdono mio Dio ; Perdono è Pietà », chantés de façon ininterrompue par la foule des fidèles, accompagnés comme une lamentation lugubre par le glissement des chaînes que le pénitent traîne difficilement sur les pavés. Il avance, tristement, alourdi par sa peine et la lourde croix qu’il porte sur son épaule meurtrie, retraçant symboliquement sur 1,8 km la montée du Christ vers le mont Golgotha. Il est suivi par un homme habillé de blanc représentant Simon de Cyrène ainsi que par 8 autres pénitents en noir, interprétant les Juifs. Quatre d’entre eux portent le Christ gisant recouvert d’un linceul, celui-là même qui était attaché sur la croix portée par u catenacciù. Les membres de la confrérie du Santissimo Sacremento leur font une haie d’honneur. La montée dans les vieilles rues de la ville se fait rude, l’épuisement est palpable et le pénitent, comme le Christ tombe, à trois reprises puis se relève. À mi-parcours, Simon de Cyrène l’aide à porter la croix qui pèse 30 kg. Les chaînes, d’un poids de 15 kg sont attachées au pied du pénitent par des bracelets de cuir depuis 1955 ; elles sont venues remplacer les cordelettes qui lui sciaient les chairs.

Le mont Golgotha est symbolisé par l’église Saint-Sébastien dans laquelle, le pénitent se recueille et prie agenouillé devant une statue de la Vierge en deuil, pleurant la mort de son fils. La procession rejoint ensuite le parvis de l’église paroissiale, où le prédicateur remémore les étapes du chemin de croix. La foule va ensuite se recueillir à l’église Sainte-Marie où elle prie, chante et écoute le sermon. Enfin, arrivé au bout de son calvaire, le pénitent entre dans l’église et dépose la croix. Les pénitents s’agenouillent ou se couchent devant l’autel, alors que les fidèles viennent un à un, baiser le Christ gisant.

Afin de respecter l’anonymat, u catenacciù retourne au couvent dans lequel il avait fait une retraite les trois jours précédents la procession, puis regagne son domicile, son maquis ou sa prison tard dans la nuit.

La tradition a probablement été importée d’Espagne par les occupants aragonais qui fondèrent Sartène en 1419. Elle se déroulait autrefois le 14 septembre, jour où l’on honore la croix du Christ. Depuis environ un siècle, u catenacciù se tient le Vendredi saint pour commémorer la passion du Christ.

(*)TIEVANT, Claire, DESIDERI, Lucie. Almanach de la Mémoire et des coutumes : Corse. Paris : Albin Michel, 1986, 400 p.

Ça se passe où ?

Ville de Corse-du-Sud, Sartène, Sartè en corse, est "La plus corse des villes corses", selon Prosper Mérimée.

Sartène © Ooh! Collective
Sartène © Ooh! Collective

C'est quand ?

Durant la semaine Sainte, la veille de la Nuit Pascale, et le lendemain du Jeudi Saint.

Un brin d’évasion

La procession Za Krizen (« chemin de croix ») sur l’île de Hvar, en Croatie.

« Après la messe du jeudi saint, qui précède la fête chrétienne de Pâques, chacun des six villages de l’île dalmate de Hvar, dans le sud de la Croatie, désigne un groupe de personnes qu’il charge de se rendre dans les cinq autres villages, selon un parcours de vingt-cinq kilomètres en huit heures, avant de revenir dans leur village d’origine. En tête de chaque groupe de cette procession Za Krizen (« chemin de croix ») organisée par les communautés, le porteur de la croix, nu-pieds ou en chaussettes, marche sans jamais se reposer. Autrefois membre de l’une des congrégations religieuses, il est aujourd’hui choisi parmi une liste de candidats inscrits parfois vingt ans à l’avance ; sa fonction, très convoitée et respectée, reflète sa piété et celle de sa famille. Il est suivi par deux amis portant des candélabres et par d’autres personnes tenant des bougies et des lanternes, par cinq choristes qui chantent les Lamentations de la Vierge Marie à différentes étapes du parcours et par de nombreux fidèles de tous âges, croates ou étrangers, vêtus des aubes de diverses congrégations religieuses. La procession est accueillie par le prêtre de chacun des cinq autres villages, puis elle retourne dans son village ; le porteur de la croix accomplit les cent derniers mètres du parcours en courant pour recevoir la bénédiction du prêtre de son village. Élément pérenne et inaliénable de l’identité religieuse et culturelle de Hvar, cette procession constitue un lien unique entre les communautés de l’île et avec la communauté catholique dans le monde. »

La procession Za Krizen (« chemin de croix ») sur l’île de Hvar [en ligne]. UNESCO.
Disponible sur : <http://www.unesco.org/culture/ich/index.php?lg=fr&pg=00011&RL=00242> (consulté le 21/09/2012)

Procession dans les rues de Sartène © Ooh! Collective
Procession dans les rues de Sartène © Ooh! Collective

Un brin d'histoire

Histoire de Sartène

« Son histoire proprement dite qui remonte au Haut Moyen Âge est d’abord celle de la « pieve » (territoire) qui regroupait onze villages et s’étendait de Rizzanese à Roccapina et de la chaîne de Cagna à Tizzà (Tizzano).

Elle se confond au XIe siècle avec l’histoire des châteaux forts féodaux de la « piève » qui contrôlaient les terres les plus fertiles de la région où vivaient de nombreuses populations groupées autour des églises. [...]

Au début du XVIIIe siècle, Guglielmu di Cinarca, le premier des Seigneurs de la Rocca, dont la domination s’étendit du Col St Georges à Bonifacio, après avoir contenu, avec l’aide des pisans, l’une des premières tentatives d’invasion génoise dans le golfe du Valincu, fit construire le château de « Castelnovo » - « Baracci » - à 3,7 kms de Sartène.

Baracci devint le centre du Sartenais féodal où vécurent les plus grands seigneurs de Cinarca. […]

En 1507, Andréa Doria emmène une bonne partie de la population du Zicavais et de l’Alta Rocca dans la piève de Sartène. À la même époque, les bastions de Baracci et de Roccapina ayant disparus, les habitants des villages voisins, surtout ceux de l’Ortolu (Ortolo), fuyant les invasions des corsaires barbaresques, se replient sur la citadelle où la garnison génoise à commencé à construire des remparts, à l’intérieur desquels l’agglomération se développera rapidement.

En 1565, la garnison génoise privée d’eau doit se rendre à Sampiero qui l’assiégeait depuis 35 jours. 

En 1583 Hassan Pacha, Roi d’Alger, embarqué à la tête de dix-huit galères, s’en empare et, outre un riche butin, emmène quatre-cents Sartenais en Algérie comme esclaves. [...]

U Catenacciù et Simon de Cyrène © Ooh! Collective
U Catenacciù et Simon de Cyrène © Ooh! Collective

À la fin du siècle VIIe siècle, le nombre des habitants atteint 1200, presque autant qu’à Ajaccio. C’est à cette époque que s’achève le transfert des biens des églises de la région au bénéfice de celle de Sartène.

Lors de l’insurrection corse contre Gènes (1728 à 1769), la Rocca rompant avec la tradition de résistance à Gènes de ses anciens seigneurs, ne s’engage pas fermement. Aussi, Sartène doit subir par trois fois le siège des troupes du mouvement national (1731 à 1736).

Théodore de Neuhof, aventurier allemand et éphémère roi de Corse, fixe sa résidence à Sartène en 1736. Il crée l’Orécus. Il y signe le 10 novembre le décret par lequel il confie le « Gouvernement du Royaume » aux généraux Ornano, Giafferie et Hyacinthe Paoli.

En 1763 se tient au Couvent de Sartène, la  « Consulta » des délégués de toute la Corse qui consacre le triomphe de Pascal Paoli que la Rocca soutient depuis 1760.

Après la défaite de « Pontenovu » (1769), Sartène rallie le « Parti Français » qui a toujours eu des partisans depuis l’Office de St Georges par les pressions qu’il exerça sur les seigneurs corses vers la France.

Un enfant de la Manichedda, Ange Chiappe, sera l’un des représentants de la Corse à la Convention.

Sous d’autres cieux, le 15 août 1769, Laetizia, fille d’Angela-Maria, une Sartenaise née dans Borgu, et du lieutenant Ramolino, de la garnison de Sartène, avait mis au monde un enfant prénommé Napoléon.

Depuis lors, Sartène s’est ouverte aux grands courants nationaux, et en a vécu intensément toutes les convulsions. »

Sartène ville [en ligne]. Ville de Sartène.
Disponible sur : <https://sites.google.com/site/sartenefr/sartene-ville> (consulté le 21/09/2012)

Un brin de poésie

Le Notre Père en langue Corse

Padre nostru chì sì in celu
(Ch'ellu) sìa santificatu u to nome ;
Ch'ellu venga u to regnu ;
(Ch'ella) sìa fatta a to vuluntà
In terra cume in celu.
Dacci oghje u nostru pane custidianu.
È rimèttici i nostri dèbbiti
Cume no i rimittemu à i nostri debbitori.
Ùn ci espone micca à a tentazione,
Ma fràncaci da u male.

Amen

Procession dans les rues de Sartène © Ooh! Collective
Procession dans les rues de Sartène © Ooh! Collective

Petit abécédaire

CATHOLIQUE : selon l’expression d’un disciple d’Origène, « le catholique est celui, qui dans le cœur du Christ, se sent responsable de toute l’humanité, avec Jésus » (1)

DIMANCHE DES RAMEAUX : à cette occasion, l’Église célèbre l’entrée triomphante de Jésus à Jérusalem. Les gens déposaient des palmes et leurs manteaux devant lui. La fête des rameaux est célébrée le dimanche qui précède le dimanche de Pâques et ouvre la semaine sainte. Les gens tressent des feuilles de palmes, et les congrégations préparent le grand palme à partir des plus belles branches de palmier. Il sera béni et porté en tête de la procession du dimanche. (2)

OFFICE DES TÉNÈBRES : le jeudi, vendredi matin et samedi de la semaine sainte est célébré l’Office des ténèbres ou Vespari. La semaine sainte est marquée par la disparition des cloches qui pour l’occasion sont remplacées par des instruments en bois appelés instruments des ténèbres. L’office est célébré autour d’un chandelier composé de 15 cierges qui sont éteints au fur et à mesure des chants, lectures ou lamentations. Après le Benedictus et le Miserere, le dernier cierge est éteint, plongeant le monde dans les ténèbres. Les fidèles forment alors un cercle, tapent le sol et les murs de l’église avec de longs bâtons afin de chasser les démons par leur tapage. Cette coutume symbolise le fracas du tremblement de terre qui accompagna la mort du Christ. (2)

DIMANCHE PASCAL : le dimanche de Pâques célèbre la résurrection du Christ. Lors des processions qui précèdent la messe, les chants annoncent la bonne nouvelle.  Les pénitences du carême s’achèvent ce jour-là. (2)

PÉNITENT : «  La personne qui désire faire u catenacciù est quelqu’un qui à un moment donné de sa vie désire souffrir d’une manière personnelle, et par extension d’une manière communautaire. » Les candidats étant nombreux, l’attente après l’inscription peut durer 20 ans ! Hormis le curé de Sartène, personne ne connait l’identité du pénitent qui porte une cagoule. Enfermé seul dans un couvent 3 jours avant la procession, il priera et se préparera à l’épreuve en allant dans les profondeurs de lui même. (2)

 PÉNITENCE : « Ceux qui s’approchent du sacrement de Pénitence y reçoivent de la miséricorde de Dieu le pardon de l’offense qu’ils lui ont faite et du même coup sont réconciliés avec l’Église que leur péché a blessée et qui, par la charité, l’exemple, les prières, travaille à leur conversion » (LG 11). Article 4 des Sept sacrements de l’Église.  (3)

  1. PHILIPPE, Marie-Dominique. Suivre l’Agneau. Luxembourg : Éditions Saint-Paul, 1995, p. 36

  2. A settimana santa [en ligne]. Curagiu.
    Disponible sur : <http://www.curagiu.com/paques.htm> (consulté le 21/09/2012)

  3. Catéchisme de l’Église Catholique [en ligne]. Vatican.
    Disponible sur : <http://www.vatican.va/archive/FRA0013/_INDEX.HTM> (consulté le 21/09/2012)

Sources 

TIEVANT, Claire, DESIDERI, Lucie. Almanach de la Mémoire et des coutumes : Corse. Paris : Albin Michel, 1986, 400 p.

PHILIPPE, Marie-Dominique. Suivre l’Agneau. Luxembourg : Éditions Saint-Paul,1995, 273 p.

Catéchisme de l’Église Catholique [en ligne]. Vatican.
Disponible sur : <http://www.vatican.va/archive/FRA0013/_INDEX.HTM> (consulté le 21/09/2012)

A settimana santa [en ligne]. Curagiu.
Disponible sur : <http://www.curagiu.com/paques.htm> (consulté le 21/09/2012)

La procession Za Krizen (« chemin de croix ») sur l’île de Hvar [en ligne]. UNESCO.
Disponible sur : <http://www.unesco.org/culture/ich/index.php?lg=fr&pg=00011&RL=00242> (consulté le 21/09/2012)

Sartène ville [en ligne]. Ville de Sartène.
Disponible sur : <https://sites.google.com/site/sartenefr/sartene-ville> (consulté le 21/09/2012)

Liens utiles

KAHN, Sophie. Le Catenacciù. Paris: Éditions de la Différence, 2001, 160 p.

Site de l’Office de Tourisme Sartenais Valinco Taravo : http://www.lacorsedesorigines.com/

Site de la ville de Sartène : http://www.sartene.fr/

Site Curagiu : http://www.curagiu.com/catenacciù.htm

Site officiel du groupe A Filetta : http://www.afiletta.com/

À écouter :

A Filetta, U lamentu di Ghjesu, Passione, Olivi Music, 1997