Patrimoine culturel immatériel

La transhumance des moutons sur le Mont LozèreLa transhumance des moutons sur le Mont Lozère

C'est quoi ?

Dans les jours prochains, les brebis vont chacune mettre bas un ou deux agneaux.
Une nouvelle génération va naître, qui pourra, à son tour, l’année prochaine, partir en transhumance vers les hautes Cévennes.
Pour combien de temps encore, ce voyage se fera-t-il à pied ?

Transhumance en Cévennes. Texte et aquarelles d’Agnès Maloine et Alain Reynaud.
Éditions du Rouergue, 2008, p 95.

«  L’éternel est mon berger, je ne manque de rien, sur des prés d’herbes fraîches il me fait reposer »

Le livre des Psaumes

Lorsque l’été approche, que les températures grimpent et que l’herbe se fait plus rare, bergers et troupeaux partent chercher un peu de fraîcheur, d’humidité et d’herbe grasse dans les hauts pâturages. C’est ainsi que vers le mois de juin, bêtes et bergers montent pour partager trois mois de solitude dans les monts avant de redescendre vers la mi-septembre, les brebis, prêtes à agneler.

 Moutons pâturant © Ooh! Collective
Moutons pâturant © Ooh! Collective

Au printemps, les brebis sont tondues, leur permettant de mieux supporter la chaleur, mais avant le départ aux estives, a lieu la tonte décorative, emblème des transhumances cévenoles. Ventre, cou et cuisses sont tondus aujourd’hui de façon électrique. La tonte manuelle intervient après, au ciseau. Sur le dos de l’animal sont coupées deux bandes de laines en forme de croissant (cotèlas), séparées d’un rail médian (raissa). La toison est taillée pour la beauté de l’ensemble. Les plus belles bêtes auront une rosa, petite boule sculptée sur la croupe. Cette rosa et le rail médian seront peints de terre ocre avant le départ. Deux, trois ou quatre pompons sont accrochés sur les parties non tondues, la plus belle brebis du troupeau en arbore même un sur la tête.

 Brebis avec Rosa © Ooh! Collective
Brebis avec Rosa © Ooh! Collective

Le troupeau est ensuite marqué à la peinture d’un signe et d’une couleur distinctifs propres à chaque éleveur, permettant ainsi au berger responsable de l’estive de différencier les troupeaux qui lui ont été confiés. Cette marque permet également aux propriétaires de reconnaître ses bêtes au retour d’estive, bien que la connaissance et le lien qui unit le berger à ses moutons sont tels, qu’il est capable de les reconnaître sans cette marque.

Une fois les bêtes décorées, on leur accroche de grosses sonnailles. L’animal meneur retrouve son collier habituel. Les colliers sont sculptés, décorés et peints.

Les sonnailles chantent le passage du troupeau, alertant les habitants des villages traversés qui viennent profiter de la beauté de l’événement, le sourire aux lèvres et du rêve dans les yeux.

La montée au mont Lozère dure plusieurs jours. La conduite d’un troupeau pouvant aller jusqu’à 2000 bêtes, nécessite plusieurs personnes pour encadrer les animaux et assurer l’intendance, aujourd’hui facilitée par l’utilisation de véhicules.

Une fois arrivé sur la terre d’estive, le troupeau est enfermé dans un parc, afin que l’éleveur ôte les sonnailles de ses bêtes. Il redescend ensuite affronter les travaux d’été alors que le berger transhumant se retrouve seul pour quelques mois, au milieu de ses bêtes, avec l’aide de ses chiens.

Sans lui, qui assure la gestion de la pâture, menant le troupeau là où l’herbe est la plus appropriée pour répondre aux besoins de ses bêtes, les animaux auraient vite fait de surpâturer les meilleures parcelles, délaisser les moins alléchantes et ne retrouveraient rapidement plus rien à manger.

La journée d’estive est loin d’être de tout repos :

6H : soins des bêtes placées à l’infirmerie, puis réparation du matériel : un outil, une clôture ou une arrivée d’eau.

8H : petit déjeuner des hommes et des chiens. Préparation du sac pour la journée.

Dispense de sel marin aux brebis, favorisant la digestion.

Observation des bêtes, afin d’identifier celles qui ont besoin de soins, puis réveil du troupeau dans le parc. Le berger fait sortir les moutons du parc et se place alors en tête de troupeau pour les mener dans la zone à pâturer.

12H : c’est le moment le plus chaud de la journée, le troupeau est conduit à l’endroit où il va chômer. C’est l’heure du casse-croûte. Le début de l’après-midi est consacré au nettoyage du parc et à la récolte du fumier.

16h : le troupeau est conduit sur de nouveaux pâturages

C’est bien souvent une fois le soleil couché que les moutons seront enfermés à nouveau dans le parc pour la nuit

Ensuite le berger nourrit ses chiens et retourne soigner les bêtes restées à l’infirmerie.

23H : repas du soir.

Cette journée type est bien entendu parsemée d’impondérables et de problématiques diverses auxquelles le berger doit faire face.

La descente d’estive dure également plusieurs jours. Le berger marche en tête de son troupeau. Il avance, le visage buriné par le soleil, la pluie et le vent, des mois passés en extérieur, sur les sentiers caillouteux. Les drailles sont parfois délaissées pour certains tronçons sur la route. Ces moments sont délicats, car certaines routes sont passantes. Les spectateurs s’attroupent, observant cette vague d’écume déferler. Souvent, il n’y a pas de cabane pour la nuit qui se passe alors en bivouac. Le berger dort peu, surveillant et rassemblant le troupeau qui n’a pas de parc.

 Transhumance dans les Cévennes © Ooh! Collective
Transhumance dans les Cévennes © Ooh! Collective

Une fois en bas, les amis des bergers sont venus pour aider au triage des bêtes, moment difficile, car les animaux ont eu le temps de former un seul et même troupeau et n’aiment pas être séparés.

Il n’y a pas beaucoup de temps à perdre, car les brebis sont prêtes à mettre bas, permettant ainsi au cycle de la vie de recommencer.

La transhumance permet l’entretien des drailles, des paysages ouverts, de l’existence du métier de berger et des traditions, et représente un patrimoine historique et culturel très riche, sans oublier l’importance de la production de viande.

Ça se passe où ?

Le mont Lozère est une montagne du sud du Massif central, en Lozère, portant le point culminant des Cévennes (1 699 m).

Les Causses et les Cévennes

« Le site, s'étendant sur 302 319 ha au sud du Massif central français, constitue un paysage de montagnes tressées de profondes vallées qui est représentatif de la relation existant entre les systèmes agropastoraux et leur environnement biophysique, notamment au travers des drailles ou routes de transhumance. Les villages et les grandes fermes en pierre situées sur les terrasses profondes des Causses reflètent l'organisation des grandes abbayes à partir du XIe siècle. Le mont Lozère, faisant partie du site, est l'un des derniers lieux où l'on pratique toujours la transhumance estivale de la manière traditionnelle, en utilisant les drailles. »

Les Causses et les Cévennes, paysage culturel de l’agro-pastoralisme méditerranéen [en ligne]. UNESCO.
Disponible sur : <http://whc.unesco.org/fr/list/1153/> (consulté le 28/09/2012)

 Rocher de Rochefort © Ooh! Collective
Rocher de Rochefort © Ooh! Collective

C'est quand ?

Dans le parc des Cévennes, la durée de l’estive varie de 60 à 120 jours avec une prévalence pour la période du 15 juin au 15 septembre.

Un brin d’évasion

L’espace culturel du yaaral et du degal

Inscrit en 2008 sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité.

« L’espace culturel du yaaral et du degal correspond au vaste espace pastoral des Peuls du delta intérieur du Niger. Les festivités du yaaral et du degal marquent la traversée du fleuve au moment de la transhumance. Deux fois par an, les troupeaux de bétail passent des terres arides du Sahel aux plaines inondables du bassin intérieur du Niger. Les festivités se déroulent toujours un samedi, jour faste selon la croyance populaire peule, leur date exacte étant déterminée en fonction de l’état des pâturages et du niveau du fleuve.

Ces festivités donnent lieu à de nombreuses expressions culturelles. Des concours du troupeau le mieux décoré sont organisés. Les bergers déclament des poèmes pastoraux relatant leurs aventures pendant leurs longs mois de pérégrination. Les jeunes femmes se parent de leurs plus beaux habits et bijoux pour acclamer les bergers par leurs chants.

Ces deux manifestations, qui remontent à l’établissement des Peuls dans la région aux environs du quatorzième siècle, constituent le pivot du mode de vie de ces populations. La gestion des pâturages, le tracé des pistes de transhumance et le regroupement des troupeaux en des points spécifiques ont permis d’améliorer l’organisation de ces fêtes pastorales. Ces mesures ont attiré des foules toujours plus nombreuses et fait de ces rassemblements des événements majeurs. En réunissant des représentants de tous les groupes ethniques et de toutes les corporations professionnelles du Delta – éleveurs peuls, riziculteurs Marka ou Nono, cultivateurs de mil Bambara et pêcheurs Bozo – le yaaral et le degal renouvellent les pactes intercommunautaires et renforcent la cohésion sociale. L’adhésion massive des communautés de la région à ces festivités leur assure une pérennité certaine même si elles sont fragilisées par l’exode rural des jeunes et les sécheresses récurrentes qui affectent pâturages et troupeaux. »

L’espace culturel du yaaral et du degal [en ligne]. UNESCO.
Disponible sur : <http://www.unesco.org/culture/ich/index.php?lg=fr&pg=00011&RL=00132> (consulté le 28/09/2012)

Un brin d'histoire

Histoire de la transhumance

Il est fort probable que la transhumance soit l’un des savoir-faire les plus anciens. Un berger vous répondra que cette pratique date depuis des temps immémoriaux.

Toujours est-il que vers 8500 ans avant J.-C. s’amorce un changement important dans l’histoire de l’humanité : l’homme jusqu’alors prédateur va passer producteur de certaines plantes et bêtes, notamment les ovins et les caprins. C’est ainsi qu’il va commencer à agir sur la reproduction des troupeaux. Cette domestication va se développer sur plusieurs millénaires permettant de sélectionner les animaux selon leur morphologie, les uns pour la viande, les autres pour le lait...

Des sonnailles datant de l’âge du fer attestent de l’activité d’élevage.

Dans le Languedoc, les plus anciennes estives dateraient d’environ 2000 ans avant notre ère et auraient été provoquées par le réchauffement climatique. Les éleveurs, recherchant un peu de fraîcheur pour les bêtes les auraient conduites vers les monts du Massif Central, mais aussi des Causses. Ils empruntaient les chemins des animaux sauvages migrateurs, bien connus de leurs ancêtres chasseurs, devenus aujourd’hui les drailles.

C’est à Sophocle dans Œdipe Roi qu’on doit le témoignage de transhumance le plus ancien, daté vers 430 avant J.-C. : « Je suis bien sûr qu’il se souvient du temps où, sur le Cithéron, lui avec deux troupeaux et moi avec un, nous avons tous les deux vécu côte à côte, à trois reprises, pendant six mois, du début du printemps au lever de l’arcture. L’hiver venu, nous ramenions nos bêtes, moi dans ma bergerie, lui aux étables de son maître. »

C’est probablement à cette période que se sont structurées les transhumances sur le pourtour du bassin méditerranéen.

Dans les Cévennes, la transhumance connaît son apogée au milieu du XIXe siècle avec plus de 500 000 moutons des plaines du Languedoc. Principalement élevés pour la laine et le fumier qui était utilisé pour enrichir les cultures viticoles et maraîchères. En 2003, 20 000 moutons entretiennent 6000 ha de terrain du Parc.

La transhumance demeure une nécessité économique pour le maintien des petits troupeaux cévenols et des grands troupeaux de garrigues, mais elle constitue un impératif écologique pour la conservation des milieux ouverts en altitude, car une grande partie de la faune du site, notamment les rapaces, nécessite des espaces ouverts pour se nourrir.

Un brin de poésie

« En tête marche le berger maître. C’est un homme comme les autres, sans noblesse théâtrale, sans regard de feu, assez souvent petit et noiraud et tout ramassé comme une boule avec des nerfs tendus et qui va la tête basse. C’est un homme comme les autres, mais c’est le chef. Je vous le dis, c’est le chef des bêtes. Le véritable chef des bêtes, sa noblesse elle est là dans ce geste, ce simple geste qui arrête ou lance le solide effort des béliers.

Sa noblesse, elle est dans ce petit mot qui vient de sortir de sa bouche, et tout le troupeau s’est arrêté figé sur place. »

Extrait de L’Eau Vive de Jean Giono, 1943.

Petit abécédaire

LA BÊTE DU GÉVAUDAN : « Animal mythique, dont l'existence repose peut-être sur des faits historiques. Des loups affamés s'étant attaqués aux hommes en Gévaudan et en Auvergne, faisant plus de 100 morts, l'imagination populaire transforma les fauves en une bête unique, mi-lion, mi-hyène et anthropophage, contre laquelle furent dirigées de véritables expéditions. »

Bête du Gévaudan [en ligne]. Larousse. Disponible sur : <http://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/G%C3%A9vaudan/121295> (consulté le 28/09/2012)

LA CAUSSENARDE DES GARRIGUES : cette race de mouton provient des grands Causses du sud du Massif Central. Ses longues pattes lui facilitent les longues marches dans les chemins caillouteux.

LA DRAILLE : (du provençal drayo) Chemin emprunté par les troupeaux lors de la transhumance. Par extension, chemin ou route en général.

Drailles en Cévennes © Ooh! Collective
Drailles en Cévennes © Ooh! Collective

LES GRANDS CAUSSES : elles sont caractérisées par des pelouses à caractère steppique, en mosaïque avec des landes à buis, amélanchier ou genévrier commun et avec les cultures des plaines et des dolines. Dans leur zone orientale et septentrionale où dominent les sols dolomitiques, ils offrent de vastes forêts de pins sylvestres. « Le pin noir d’Autriche et le pin sylvestre envahissent progressivement les paysages ouverts. Le hêtre est présent sur les versants froids exposés au nord, le chêne pubescent dans les vallons et sur les versants chauds exposés au sud. Dans les Gorges, les falaises dolomitiques abritent une flore exceptionnelle. Le chêne vert se réfugie sur les versants les mieux exposés, ainsi qu’une flore et des arbustes de type méditerranéen. »

La végétation [en ligne]. Parc National des Cévennes.
Disponible sur : <http://www.cevennes-parcnational.fr/Un-patrimoine-d-exception/Les-milieux-naturels/La-vegetation> (consulté le 28/09/2012)

LA LAINE : Elle reflète l’état de santé de la bête. Ses qualités sont nombreuses. Elle est non polluante, très résistante au feu, sa fibre flexible peut s’étirer de près d’1/3 de sa longueur sans se déformer, elle est un bon isolant contre le froid, le chaud et le bruit. Sa douceur la rend confortable.

LE PATOU : race de grands chiens blancs des Pyrénées, utilisée par les bergers pour défendre le troupeau contre les loups et chiens errants. Ce chien fait partie intégrante du troupeau. Il est placé dans la bergerie avec les moutons dès son plus jeune âge. Il est calme et se confond presque avec les moutons, mais à la moindre alerte, il prend les initiatives se place entre le danger et le troupeau et fait fuir l’assaillant en aboyant. Il peut garder seul 500 moutons.

 Patou des Pyrénées © Ooh! Collective
Patou des Pyrénées © Ooh! Collective

LA RAÏOLE : race rustique parfaitement adaptée aux Cévennes. C’est une très bonne marcheuse. Plus forte que les autres, sa tête est allongée et ses oreilles tombantes.

LA ROUGE DU ROUSSILLON : d’origine nord-africaine, sa robe est d’un roux chocolaté. Très rustique et peu exigeante sur son régime alimentaire, elle supporte très bien la chaleur et la marche.

Sources 

MALOINE, Agnès, REYNAUD, Alain. Transhumance en Cévennes : du Mont Lozère à Colognac. Arles : Éditions du Rouergue, 2008, 95 p.

VERDIER, Michel. Saisons de Bergers en Cévennes. Saint-Rémy-de-Provence : Éditions Equinoxe, 2005, 175 p.

BRISEBARRE, Anne-Marie. Bergers et transhumances. Sayat : Éditions de Borée, 2007, 223 p.

LAMBERT, Dominique. Bergers et Transhumances. Magland : Neva Éditions, 2006, 104 p.

PALOC, René. Petit dictionnaire du français ensoleillé : Cévennes Languedoc.. Sète : NPL éditeur, 2010, 153 p.

Les activités agricoles et pastorales [en ligne]. Parc National des Cévennes.
Disponible sur : < http://www.cevennes-parcnational.fr/Un-territoire-vivant/Les-activites-economiques/L-agriculture-et-le-pastoralisme/Les-activites-agricoles-et-pastorales> (consulté le 28/09/2012)

L’espace culturel du yaaral et du degal [en ligne]. UNESCO.
Disponible sur : <http://www.unesco.org/culture/ich/index.php?lg=fr&pg=00011&RL=00132> (consulté le 28/09/2012)

Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales. Portail Lexical [en ligne].
Disponible sur : <http://www.cnrtl.fr/portail/> (consulté le 28/09/2012)

Dictionnaire Larousse [en ligne].
Disponible sur : <http://www.larousse.fr/> (consulté le 28/09/2012)

Liens utiles

Site du Parc National des Cévennes : http://www.cevennes-parcnational.fr/

À écouter :

CUICONI, Jean. Silence, Adveniat