Patrimoine culturel immatériel

Les ajoureuses d’Angles-sur-l’AnglinLes ajoureuses d’Angles-sur-l’Anglin

  • … des petites joies au quotidien…
  • Depuis le concours des meilleurs ouvriers de France, cela a été une reconnaissance

C'est quoi ?

Ce serait une maladresse qui aurait, au milieu du XIXe siècle, créé les jours. Certains racontent qu’Adélaïde, une ouvrière angloise travaillant pour un chemisier de l’époque aurait par erreur tiré un fil d’un plastron. Essayant de le réparer, elle improvisa quelques points qui firent naître le jour. D’autres rapportent que notre ouvrière étourdie aurait fait un trou en repassant une chemise. Elle fit preuve d’ingéniosité en réparant sa maladresse.

La décentralisation de la lingerie parisienne fit d’Angles la « capitale des jours ». Ce savoir-faire fit la renommé de la petite bourgade comptant aujourd’hui 450 habitants. Durant l’entre-deux-guerres, plus de 300 ouvrières y travaillaient et les carnets de commandes surchargés permettaient de faire vivre les villes aux alentours. L’exportation et la Haute-Couture parisienne absorbaient la quasi-totalité de la création.

Les années 60 et 70 ont malheureusement vu décliner cet artisanat mais, les femmes d’Angles ont créé le 22 novembre 1981 l'association ''Sauvegarde et Rayonnement des Jours d'Angles'' afin de faire perdurer leur art.

Autrefois, la marqueuse tirait les fils, l’ajoureuse (au sens strict du terme) travaillait avec l’aiguille, et la cordonneuse posait le cordonnet. Ces spécialisations ne se trouvent plus aujourd’hui - les professionnelles étant trop peu nombreuses - et chacune se doit de maîtriser toutes les phases du travail.

Travail des jours
©Ooh collective, Travail des jours

Etapes de réalisation de motifs en jours d’Angles :

  • Dessin du motif sur papier
  • Echantillonnage du tulle sur le coin de l’ouvrage
  • Marque
  • Travail des jours
  • Frotté exécuté à la pierre au carbone (pour garder la trace du travail)

Ce sont les tulles et les pavés, les jours les plus utilisés pour orner les motifs géométriques, qui ont fait la gloire de la lingerie fine d’Angles.

Ça se passe où ?

Angles-sur-l’Anglin est situé à l’Est du département de la Vienne, limitrophe du département de l’Indre, sur la rivière l’Anglin.

Vue d’Angles-sur-L’anglin
©Ooh collective, Vue d’Angles-sur-L’anglin

Un brin d’évasion

A Vieux-Fort en Guadeloupe, d’autres petites abeilles créent des jours. Ce savoir-faire transmis de mère en fille est arrivé sur l’île il y a près de 300 ans. L’histoire de la broderie de Vieux-Fort remonte à la colonisation, mais leur origine est assez floue : est-ce l’héritage des bretons installé aux Saintes, celui de jeunes filles de bonne famille qui auraient ramené le point de Venise ou simplement une inspiration que les femmes de marins auraient trouvée dans des échantillons de dentelles ajourées ramenées par leur mari de leurs expéditions ?

Quelle que soit l’origine, ces brodeuses continuent à se réunir, l’ouvrage posé sur un carton, afin d’échanger leurs points, pour que ce savoir-faire perdure.

Dés à coudre
©Ooh collective

Un brin d'histoire

«Les origines du village paraissent plus que controversées. En effet, les guides touristiques modernes privilégient la thèse qui voudrait qu’Angles doive son nom, tout comme l’Angleterre, à un peuple germanique venu du Schleswig, aujourd’hui Land allemand de la plaine du Nord : les Angles, dont les descendants se seraient installés près de l’Anglin au VIIe siècle.
Quelques soient les origines d’Angles, c’est bien avant notre ère que la civilisation laisse ses empreintes à Angles, qui n’est pas encore Angles…
En effet, la découverte du site préhistorique magdalénien du « Roc aux Sorciers », a laissé un étonnant témoignage : l’Homme a vécu il y a environ 14 000 ans sur les rives de l’Anglin. […]Ces découvertes et l’intérêt qu’elles suscitent font d’Angles-sur-l’Anglin un des hauts lieux de la préhistoire au même titre que Lascaux.

[ …]L’histoire d’Angles s’articule principalement autour de trois monuments : la forteresse, la chapelle Sainte-Croix et la chapelle Saint-Pierre.

La forteresse. Choisi probablement pour la position stratégique […] (elle domine d’environ 50 mètres la vallée de l’Anglin), le château ainsi bâti est cité dès 1025. Au début du XVe, deux évêques entreprennent de remanier la vieille forteresse. Hugues de Combarel fait édifier un logis d’habitation qui évoque déjà la Renaissance. […] La fin du XVe siècle annonce la fin des beaux jours de la forteresse. Pierre d’Amboise fait construire la résidence épiscopale de Dissay qui est préférée à la châtellenie d’Angles. A cela succèdent les guerres de religion.

Ruines de la forteresse
©Ooh collective, Ruines de la forteresse

Une expertise sur l’état de la forteresse est commandée en 1708. Le parlement de Paris exempte les évêques de Poitiers de leur devoir d’entretien. En 1792, la forteresse en ruine, est tout de même confisquée et la commune décide de l’utiliser comme carrière de pierre. Mais l’accès étant tellement difficile et la demande peu importante, les ruines seront sauvées.
La commune rachète la forteresse pour le franc symbolique en 1986 et s’emploie à sa sauvegarde.
La chapelle Sainte-Croix. Isembert Ier vers 1040 est à l’origine de l’abbaye. […] Vers 1094, le pape Urbain II fait remplacer les moines bénédictins par des chanoines réguliers de l’ordre de Saint-Augustin, qui tiendront l’abbaye jusqu’à la Révolution.
Mais il faut attendre la fin du XIIe siècle pour voir s’élever l’église abbatiale dont on voit aujourd’hui les restes.
La chapelle Saint-Pierre.[…] La chapelle est séparée de la forteresse par la « tranchée des Anglais » : fissure naturelle aménagée par l’homme. La légende voudrait qu’après la défaite face aux Anglais à Maupertuis du roi Jean le Bon, ces derniers soient arrivés à Angles pour s’emparer du château « en taillant ce passage dans le roc, en une nuit, afin de surprendre les gardes ».
[…]La chapelle a été édifiée au XIIe siècle. Actuellement, elle abrite de nombreuses expositions et est l’un des points de vue les plus remarquables d’Angles. »

Au XIXe siècle se développe l’industrie des Jours ainsi que des travaux de lingerie pratiqués par les Angloises et très appréciées des Parisiennes.

Un brin de poésie

« Elles brodent, ces vieilles femmes
Près des murs morts presque enfouis.
Les bouquets sur leurs blanches trames
Ce soir seront épanouis.
Mais folles rondes, leurs pensées,
Au creux d’un obstiné chemin,
Sans cesse seront recommencées
Pour unir hier à demain […] »

Extrait d’un poème de Gaston Berry, en hommage aux brodeuses d’Angle-sur-l’Anglin. Juillet 1965.

Petit abécédaire

Adélaïde : Ouvrière qui, grâce à sa maladresse, serait à l’origine de la création du jour.

Anglois, Angloise : habitant d’Angles.

Cordonnet : fil spécial posé sur l’ouvrage avant la marque des jours, permettant la création de motifs aux formes courbes.

Frotté (le): permet de conserver une trace du motif. Une fois le travail terminé, on place une feuille de calque sur les jours puis on frotte avec une pierre de carbone.

Jours au mètre : consiste à rassembler les fils qui n’ont pas été tirés de la marque à l’aide de points spécifiques. Les jours au mètre (hormis les jours de base) étaient appelés les vieux jours car ce travail était exécuté par les personnes âgées.

Voici quelques exemples de la poésie de la dénomination des jours :

Un œil de perdrix dans le pied de la marguerite, grain de sable sur une rivière avec des marguerites ou encore une queue de paon à deux étages…

Marque : c’est la préparation du tissu selon la technique de fil tiré. Deux techniques :

  • La marque des jours au mètre : la marqueuse tire une bande de fils selon la largeur du jour à travailler.
  • la marque des tulles et des pavés : la marqueuse tire les fils en grille, les motifs sont donc géométriques (la spécialité d’Angles) . Pour faire un motif aux formes courbes il faut poser un cordonnet, les jours étant marqués après la pose de ce fil spécial.

Maïthé : meilleur ouvrière de France en 1997 (création d’une nappe ayant pris 530 heures de travail).

Nappe de Maïthë
©Ooh collective, Nappe de Maïthë

Pavés : les pavés ou pavés pleins (en opposition aux pavés non brodés appelés pavés vides) sont travaillés sur les deux sens à l’envers du tissu.

Points : jour uni, jour échelle, le venise, le grain de sable…

Support : soie, lin, coton ou tout autre textile ayant un tissage façon toile.

Trisser : la marqueuse, avant de couper et retirer le fil, soulève les fils avec la pointe des ciseaux pour les froncer afin de se faire des repères ou vérifier le droit-fil.

Tulle : le tulle droit se travaille sur la trame, de bas en haut et sur l’envers du tissu. Le tulle de croix se travaille sur l’endroit du tissu, en diagonale et en aller-retour.

Sources

LEYSSENE, M. / VALIERE, M. - Une tradition, les jours d’Angles. - Christine Bonneton Ed., 1984, 127 p.

Office du tourisme Angles-sur-l’Anglin. - Angles-sur-l’Anglin, la ville, le château : Essai de reconstitution Archéologique et Historique. - Imp. Lib. Adm. P. OUDIN, 1993, 31 p.

VERMANDE, Sophie (sous la dir.). - Dossier : les « jours » de Vieux-Fort . - Destination Guadeloupe, n°27, 2007, [document en ligne], [réf. du 31 août 2010], Disponible sur Internet : http://www.guadeloupe-fr.com/magazinedestinationguadeloupe/article=3156/

Liens utiles

Site de l’office du tourisme d’Angles-sur-l’Anglin : http://www.anglessuranglin.com/

Site des Musiques des territoires d’Auvergne : http://www.amta.com.fr/

A écouter

Frédéric PARIS, Un p’tit ciseau, Petite Alouette 2 – Belle pomme d’or, 2007.