Patrimoine culturel immatériel

La légende de la cigogne à StrasbourgLa légende de la cigogne à Strasbourg

  • En 1972, il ne restait plus que dix couples de cigognes blanches …
  • sur le bord de la fenêtre, un sucre…et la cigogne va nous déposer un bébé !

C'est quoi ?

Symbole de fertilité dans l’imagerie populaire d’Alsace, la cigogne est un oiseau de bon augure, et sa symbolique la plus célèbre l’associe aux naissances.

D’après D. Lerch, la première trace de la légende de la cigogne porteuse de bébés remonterait à 1840. Elle nous est parvenue grâce à l’imagerie populaire du graveur J.-F. Wentzel : « Storick, Storick, stipper di Bein / Bring de Mamme a Bubbela heim […] » qui signifie « Cigogne, Cigogne cabre-toi / Apporte à maman un joli marmot.[…] » (voir la rubrique « un brin de poésie »)

Les Germains font de la cigogne la messagère de la déesse Holda, dont le rôle est de renvoyer dans le monde des vivants les âmes des défunts en les réincarnant. La cigogne, émissaire de la déesse serait chargée d'apporter des bébés aux parents qui en auraient exprimé le désir.

Carte postale de Felix Luib, Kunstverlagsanstalt
Carte postale de Felix Luib, Kunstverlagsanstalt, Strassburg, n°6064

Après avoir passé commande, la future maman doit mettre quelques morceaux de sucre sur le rebord de la fenêtre pour attirer la cigogne. « L'oiseau va alors chercher le bambin auprès d'une source ou d'une mare, là où les lutins ramènent des profondeurs de la terre les âmes tombées du ciel avec la pluie, et réincarnées en nouveau-nés. Il semble que les cigognes, fréquentant les zones humides pour leurs besoins alimentaires, aient ainsi remplacé depuis le siècle dernier les lutins, qui étaient dans des temps plus anciens préposés à la livraison des bébés. »

Les légendes permettent parfois de travestir de façon poétique des sujets délicats à aborder pour certains parents, comme celui de la conception. Les enfants pouvaient ainsi s’entendre dire que leur maman avait été mordue par une cigogne lorsqu’ils demandaient pourquoi elle était alitée après la naissance du bébé.

Une autre croyance voudrait qu’elle ait volé autour de Jésus lors de sa crucifixion. Elle serait ainsi devenue un symbole de résurrection, de régénération. C’est dans ce sens qu’une cigogne qui volerait au-dessus d’une maison ou y construirait son nid serait annonciatrice d’une futur naissance.

« Si une cigogne s'est posée sur votre maison, elle devient votre porte-bonheur dans presque tous les domaines: fécondité et fidélité en premier lieu, mais aussi richesse, santé, protection contre la foudre, bénédiction de la ville entière où elle a élu domicile, etc. Cette quantité de vertus lui a sans doute été attribuée dans les siècles passés parce qu'elle débarrassait les champs et marécages des serpents et d'autres animaux peu appréciés par les habitants. »

Une cigogne blanche
©Ooh collective, Une cigogne blanche

Toujours est-il que de l’Alsace, la légende de la cigogne s’est répandue dans toute la France et au-delà des frontières, et qu’aujourd’hui, l’oiseau migrateur tient toujours une place de choix sur nos faire-part de naissance et dans l’imaginaire populaire.

Ça se passe où ?

Strasbourg, chef-lieu du département du Bas-Rhin et de la région Alsace sur l’Ill, près du Rhin. L’Alsace comprend deux départements : le Bas-Rhin et Haut-Rhin. Son nom provenant de« Elsass » et « Ill » signifie « lieu où se trouve la rivière Ill ».

Un brin d’évasion

Les premières légendes européennes sont bien plus anciennes. C’est en 400 avant J.-C. que les Grecs associent la cigogne, « pelargos », à la piété filiale, car on prétend qu’elle nourrit ses vieux parents. De là découla une loi du nom de « Pelargonia » qui obligea les enfants à s’occuper de leur parents.

Au Japon, la cigogne se confond avec la grue et apparaît comme un symbole de longévité voire d’immortalité. Elle pourrait atteindre un âge fabuleux. A 600 ans, elle arrêterait de manger et se contenterait de boire. A 2000 ans elle deviendrait noire. Avec le lièvre et le corbeau elle est un animal cher aux taoïstes.

Au Maroc, la croyance populaire considèrerait la cigogne comme un porte-bonheur. La légende raconte « que la cigogne serait un imam, un homme saint habillé de deux burnous, l'un noir et l'autre blanc. Un jour, au Sahara, l'imam manqua d'eau nécessaire à ses ablutions […]. Afin de ne pas manquer la prière, il utilisa le petit lait pour faire sa toilette commettant de ce fait un grave péché -le petit lait étant béni parce que rare dans ce pays désertique. Le Tout Puissant le métamorphosa en cet oiseau paisible et l'expédia […] au Maroc pour expier son péché. »

Un brin d'histoire

Histoire de Strasbourg
« Bien que le site ait été occupé de façon permanente par les Celtes, la fondation d’Argentoratum est attribuée aux Romains qui construisent, au XIIe siècle avant J.-C., un camp fortifié. Celui-ci fait partie de la ligne de défense établie pour défendre l’Empire des attaques des Germains. Autour de ce camp s’établit alors une agglomération qui subit plusieurs destructions au cours du temps, dont la plus terrible, par Attila en 451.
La ville est restaurée en 496 sous le nom de Strateburgum par les Francs qui favorisent le développement de la ville, après la conversion de Clovis au Christianisme. En effet, Argentoratum est l’une des rares villes de la région à avoir un évêque, véritable gouverneur de l’époque.

Ville de Strasbourg
©Ooh collective, Ville de Strasbourg

[…] En 842, la ville accueille Charles le Chauve et Louis le Germanique qui s’allient contre leur frère Lothaire pour le partage de l’Empire légué par Charlemagne et prononcent le Serment de Strasbourg […]. A l’issue de ce conflit en 843, le traité de Verdun attribue Strasbourg à Lothaire mais à sa mort, la ville revient à la Germanie.

En 962, Otton le Grand fonde le Saint Empire Romain Germanique et s’appuie sur l’Eglise en lui octroyant des pouvoirs temporels forts. Strasbourg obtient alors le droit de justice et celui de battre monnaie.

La ville continue à prospérer et à s’étendre. Une nouvelle enceinte est construite au XIIe siècle qui sera agrandie un siècle plus tard. Les bourgeois, écartés du pouvoir, souhaitent s’impliquer dans la vie politique et obtiennent en 1214 le droit de créer un conseil avant de prendre le pouvoir en 1262. S’ensuit une période trouble pendant laquelle les luttes de pouvoirs sont source de nombreux conflits. Le point culminant de ces conflits est la lutte de deux familles rivales, les Zorn et les Mullenheim, véritable guerre civile provoquant une révolte des Strasbourgeois. Le pouvoir revient alors à la classe marchande.
Suite à cette longue période de troubles, une nouvelle organisation politique se crée au XVe siècle : […] un Ammeister (maire) est nommé par le Conseil tandis que quatre Stettmeister nommés par les nobles complètent l’administration. La ville compte alors plus de 16 000 habitants, frappe monnaie et obtient le statut de Ville libre d’Empire, ce qui en fait une véritable principauté.

La ville connaît aussi une grande effervescence intellectuelle. Gutenberg y invente l’imprimerie. […] La ville adopte en 1524 la Réforme et attribue les églises aux Protestants. Strasbourg accueille les dissidents religieux et propage leurs idées grâce à l’imprimerie. La ville est alors à son apogée…

Mais le déclin arrive avec les guerres. L’Empereur Charles Quint, catholique, mène la guerre contre les princes protestants et leurs alliés (Strasbourg). La ligue protestante est vaincue, Strasbourg restitue la Cathédrale et deux églises aux Catholiques. La ville connaît aussi des difficultés financières.
La Guerre de Trente Ans éclate en 1618, guerre de religion européenne opposant les Protestants et les Catholiques. L’Alsace fut ravagée, mais Strasbourg resta neutre dans ce conflit. A l’issue de la guerre en 1648, par le Traité de Westphalie, l’Alsace revient à la France, mais Strasbourg reste Ville libre Impériale. La ville est isolée, affaiblie, n’a rien à attendre de l’Empire vaincu, et lorsqu’elle est assiégée par les troupes de Louis XIV, en septembre 1681, Strasbourg capitule et devient française. Elle conserve néanmoins la plupart de ses avantages.

[…] Cette annexion marque pour Strasbourg le début d’une nouvelle prospérité. La ville devient la capitale régionale, son université attire de grands noms tels que Goethe, la bourgeoisie s’enrichit et se construit de belles demeures.

La Révolution de 1789 est bien accueillie par la population et les nouvelles institutions sont rapidement adoptées. La ville connaît néanmoins le contrecoup de cette époque troublée, notamment pendant la Terreur qui sévit durant deux années. En 1792, le capitaine Rouget de L’Isle compose un chant pour l’armée du Rhin, qui deviendra la Marseillaise. Strasbourg sort fortement affaiblie de cette période de troubles. L’époque napoléonienne est, quant à elle, un retour à la prospérité et au faste qui dure jusqu’à la guerre de 1870. L’Allemagne annexe alors l’Alsace et une partie de la Lorraine. Lors du siège, la ville subit de graves destructions.

L’Allemagne veut dorénavant faire de Strasbourg un symbole de sa puissance. La ville est élevée au rang de capitale du Reichsland d’Alsace et de Lorraine. […] La ville se transforme en grande ville industrielle, sa population double et sa vie intellectuelle renaît. Après la guerre de 14-18, pendant laquelle Strasbourg est relativement épargnée, l’Alsace revient à la France qui cherche à «franciser» la région à marche forcée, en oubliant la mixité de la culture alsacienne et les nombreux progrès sociaux acquis pendant la période 1870-1914.

Mais la Seconde Guerre Mondiale arrive, l’Alsace est à nouveau annexée par l’Allemagne et une politique de «germanisation» est lancée, très dure : interdiction du français, changement du nom des rues et des noms de famille à consonance française. Le 23 novembre 1944, Strasbourg est libérée par les troupes de Leclerc et l’Alsace revient à nouveau à la France. Strasbourg retrouve sa prospérité et l’Alsace est aujourd’hui l’une des régions les plus dynamiques de France. La ville est choisie pour être le siège du Conseil de l’Europe et du Parlement Européen. »

Situé à une soixantaine de kilomètres de là, Ribeauvillé

Ribeauvillé
©Ooh collective, Ribeauvillé

L'origine de la ville. On trouve au VIIIe siècle des documents qui font mention de l'existence d'un domaine appelé "Radboldovilare" : des donations d'un comte de Sundgau (768) et de l'abbaye de Saint Denis (777). Le suffixe "vilare" évoque un domaine rural, celui de Ratbold est certainement un nom de personne. […]

Le Moyen Age. Les terres de Ribeauvillé passèrent des ducs de Franconie aux évêques de Bâle. Profitant de l'anarchie qui suit l'effondrement de l'empire de Charlemagne, les turbulents seigneurs de Rappolstein s'émancipent et construisent les trois châteaux […]

La Renaissance. La famille de Ribeaupierre continue d'étendre son influence et d'accroître ses biens. […] Une bonne partie de la famille, et la ville avec eux, passe au protestantisme ; à la mort de Jean-Jacques, le dernier des Ribeaupierre, la seigneurie passe à son gendre, Christian de Birkenfeld, de la famille des Comtes Palatins[…].

L'époque moderne. La ville se développe, des manufactures s'installent et atteignent une grande renommée (teinture d'étoffes). Les remparts et la plupart des tours-portes disparaissent […] pour permettre l'amélioration de la circulation et l'agrandissement de l'espace disponible. Le tramway, connecté à la nouvelle ligne de chemin de fer Strasbourg-Mulhouse, arrive au Jardin de ville en 1879. A cette époque, la population de la ville atteint presque 8000 habitants. Mais il fallut la persévérance de certains habitants, comme l'Instituteur Ortlieb, pour que la ville ne perde pas son cachet et tous les souvenirs de son histoire. Actuellement l'extension de la ville se poursuit vers l'Est et respecte le noyau historique. »

Les deux tours de Ribeauvillé ont leur nid de cigognes. L’un et l’autre furent délaissés dans les années soixante. En 1978, un couple de cigognes sauvages vint s’installer sur la tour Nord : il n’eut pas de jeunes. Depuis, un couple du Centre de Hunawihr a pris le relais.

Hunawihr, centre de réintroduction des cigognes et des loutres.

« Alors qu'en 1900 les cigognes se comptaient par milliers en Alsace, il n'en restait que 2 couples en 1982 ! Les lignes à hautes tensions, la sécheresse et sa chasse au Mali mais aussi l'emploi de pesticides très puissants visant à éliminer les criquets dans ce pays constituent les causes majeures de la disparition de la Cigogne.

Situé en Alsace, sur la route des vins, le Centre de Réintroduction des cigognes et des loutres a été créé en 1976 au coeur d'anciens marais. Il est situé plus précisément dans le petit village d'Hunawihr (Riquewihr et Ribeauvillé)[…].

Le parc abrite en permanence plus de 150 cigognes, dont une soixantaine de couples niche dans le parc ; une population atteignant plus de 250 individus après la naissance des jeunes. Tout a été mis en oeuvre pour aménager au mieux l'espace naturel dans lequel les cigognes vivent en liberté et, quelque soit la période de l'année, il y a toujours de l'activité au sein du parc (construction des nids, accouplement, nourrissage et élevage des jeunes, vol en plein ciel). Créé en 1991 le Centre d'élevage des loutres est le premier centre français de reproduction et de réintroduction de la loutre européenne. Une partie du centre est ouvert au public. […]

[La disparition des cigognes] étant due à une destruction pendant leur migration, le premier travail du Parc des Cigognes est de leur enlever l'instinct migratoire tout en leur permettant de voler et de se reproduire sur les villages alsaciens dès que cet instinct a disparu. Ce programme de réintroduction passe par le prélèvement et l'élevage à la main de plusieurs dizaines de cigognes par an. »

Cigognes blanches
©Ooh colective, Cigognes blanches

Un brin de poésie

Poème de Basse-Allemagne, première trace de la légende de la cigogne

Storick, Storick, stipper di Bein,
Bring de Mamme a Bubbela heim,
Eins wo hielt, eins wo lacht
Eins, wo ins Hafela macht.
Storick, Storick, stipper di Bein,
Bring m’r e Korb voll Wegga heim,
Bring fer mich oi eina mit.
Awer fer d’beesi Büewa nit.

Cigogne, Cigogne cabre-toi
Apporte à maman un joli marmot,
Un qui pleure, un qui rit,
Un qui fait bien dans le pot.
Cigogne, Cigogne cabre-toi,
Apporte-moi des petits pains,
Un pour moi, un pour toi,
Mais pour les méchants garçons aucun.

Petit abécédaire

Cigogne : la cigogne qu’on voit en Alsace est la cigogne blanche. Les deux seules espèces qui vivent en Europe sont la cigogne blanche et la cigogne noire. La cigogne blanche mesure 1 m à 1,15 m, pèse jusqu’à 4,5 kg et pond entre 3 et 5 œufs par an.

Déesse Holda : ancienne déesse germanique, déesse de l’amour et de la fertilité, elle personnifie les forces productives de la terre. Elle renverrait dans le monde des vivants les âmes des défunts en les réincarnant.

Kindelsbrunnen : la fontaine aux bébés en alsacien.

Légende : du latin legenda qui signifie « ce qui doit être lu ».

Loi Pelargonia : loi datant se 400 av. J.-C. qui obligeait les enfants à s’occuper de leurs vieux parents.

Pelargos : du grec cigogne.

Storichetante : la « tante aux cigognes » en alsacien est un terme qui désignerait la sage-femme, d’après le pasteur Martin Wieger.

Wentzel (Jean-Frédéric.) : (1807-1869). Graveur iconographe de Wissembourg dans le Bas-Rhin. Imprimeur, il développa une grande entreprise de typographies et de lithographies dans sa ville. C’est grâce à lui que nous est parvenu la première source connue de la légende des cigognes.

L'Encyclopédie de l'Alsace p. 1733

Sources

CHEVALIER, Jean / GHEERBRANT, Alain. -Dictionnaire des symboles : mythes, rêves, coutumes, gestes, formes, figures, couleurs, nombres. -Robert Laffont / Jupiter, 1982, 1060 p.

STOEBER, Auguste. -Légendes d’Alsace. -Ouest France Ed., 2010, 410 p.

Paris : Ministère de l'Éducation Nationale, Ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche. -Les cigognes en Alsace. – [en ligne], [réf du 26 août 2010], Disponible sur Internet : http://www.educnet.education.fr/localisation/pedago/argos1/cigalsa.htm

Site Alsace – Passion. –Histoire de Strasbourg. –[en ligne], [réf du 26 août 2010], Disponible sur Internet : http://www.alsace-passion.com/stras/strasbourg-1b.htm

[s.n.]. - Préface du Tannhäuser. –Le Messager des Théâtres, mars 1861, [document en ligne], [réf du 27 août 2010], Disponible sur Internet : http://sas-space.sas.ac.uk/dspace/bitstream/10065/2252/1/tannhauser_messager_des_theatres_6mars1861.pdf

Site Dinosoria. -Cigognes blanches. -[en ligne], [réf du 26 août 2010], Disponible sur Internet : http://www.dinosoria.com/cigogne_blanche.htm

Liens utiles

Site de la ville de Ribeauvillé : http://www.ribeauville.net/

Site du Centre de réintroduction des cigognes et des loutres de Hunawhir : http://www.cigogne-loutre.com/

Site de la Fondation de l’œuvre Notre-Dame : http://www.oeuvre-notre-dame.org/index2.htm

Site de Paul Boistelle : http://paul.boistelle.pagesperso-orange.fr/

A écouter

Orchestre folklorique de Strasbourg sous la direction de Paul Boistelle, Komm min maidele, Danses Populaires d'Alsace-série 1