Patrimoine culturel immatériel

La légende de Dame Carcas à CarcassonneLa légende de Dame Carcas à Carcassonne

  • « La cité de Carcassonne était pour moi d’abord un terrain de jeu, c’est comme ça que j’ai appris cette légende »
  • « En tant que femme, je suis fière de porter cette légende dans mon cœur, pour une fois, on ne parle pas de chevalier »

C'est quoi ?

Dans un tout autre temps,
La belle Carcassonne aux mains des musulmans,
Attira Charlemagne qui voulut la reprendre.
Balaach, prince et seigneur sortit à vive allure
Suivi au pas de course de ses preux chevaliers.
Il n’eut pas tôt franchi les murs de son bastion
Que déjà il mourut.
On pleura fort dans la cité
Où l’empereur victorieux allait pour conquérir.
Dame Carcas alors,
vertueuse et vaillante veuve du défunt maure,
Se para de ses armes et dirigea ses hommes.
Elle tint et tint encore et cinq années passèrent.
C’était merveille que cette femme,
Charlemagne l’admirait,
Et le comte Oliban, son plus grand favori,
L’aimait d’un amour tendre.
Mais Dame Carcas combattait et combattait toujours,
Dressant sur les remparts
Des mannequins de paille costumés en soldats
Quand ceux-ci se mouraient.
Les vivres vinrent à manquer,
La noble Sarrazine n’avait plus à offrir
A son peuple en guenilles
Qu’un tout petit cochon, une mesure de froment.
Elle gava le pourceau du grain qui lui restait,
Et puis le fit jeter par dessus les créneaux.
Charlemagne contemple le porcelet dodu
Ecrasé sur le sol à deux pas de ses pieds,
De son ventre gonflé s’échappe un flot de grains.
Nul ne peut assiéger
Un peuple qui nourrit ses cochons de bon blé.
Il se retire alors,
L’amoureux Oliban essuyant sur ses joues les larmes de l’adieu.
La princesse guerrière se sachant victorieuse
Et bien trop solitaire
Fait retentir les cloches avant qu’ils disparaissent,
Les rappelle auprès d’elle tant elle craint leur départ,
Dame Carcas sonne et la cité se donne,
Au bourdon de l’amour.

Recueil de poèmes de yllen51350, disponible sur internet : http://www.jepoeme.com/profil/yllen51350

©Ooh collective, Entrée de la Cité de Carcassonne
©Ooh collective, Entrée de la Cité de Carcassonne

Moins poétiquement, « pour préserver Carcaso de Charlemagne et de son armée, la veuve du Sarrasin Balaak, Dame Carcas, usa d'un stratagème pour défendre la ville.
À la vue d'un porc bien gras qu'elle fait lancer par-dessus les remparts, laissant à penser à l'abondance de vivres, les assaillants auraient renoncé et quitté promptement les lieux. Pour répandre et annoncer aux alentours la bonne nouvelle, Dame Carsas aurait fait sonner les cloches de la ville à toute volée. »

" Carcas sonne " serait ainsi née.

Ministère de la culture et de la communication / Centre des monuments nationaux. -La légende de Dame Carcas. -[réf. du 30 août 2011], [en ligne], disponible sur internet : http://www.carcassonne.culture.fr/fr/fa1dc.htm

D’après l’article Dame Carcas, une héroïne sarrasine écrit par Sylvie Caucanas (directrice des Archives départementales de l’Aude), la première trace écrite de la légende de Dame Carcas remonte au XVIe siècle. Elle est mentionnée dans un poème de Jean Dupré (vers 1534), citée aux côtés d’autres figures allégoriques ayant donné leur nom à des contrées : Mantoue, Libye, Europe, Asie... La plus ancienne représentation de Dame Carcas remonte à la même époque. C’est un buste, situé sur le pilier du portail des Tours Narbonnaises. Remplacé aujourd’hui par une reproduction, sur son socle aurait été écrit : Sum Carcas « Je suis Carcas ». Elle n’a pas été fondatrice de Carcassonne, mais la légende en fait la personnification même de la ville.

Selon les études de Karine-Larissa Basset, Dame Carcas aurait été sarrasine. Guillaume Besse, juriste passionné d’histoire lui attribue un illustre lignage, celui des Roger de comtes de Carcassonne. D’après Gaston Jourdanne, « La plupart des grandes familles épiques ont pour aïeule une Sarrasine convertie ».

Effectivement, l’image de la femme musulmane n’est pas inconnue, dans les chansons de geste. Le Sarrasin est vu comme un guerrier cruel, mais la Sarrasine, surtout si elle est veuve, peut acquérir une dimension héroïque. La littérature médiévale donne deux issues distinctes au couple musulman : l’homme meurt et la femme se convertit. Dame Carcas s’intègre parfaitement dans ce schéma là. Bien qu’il soit impossible de rattacher de façon formelle la légende de Dame Carcas à la littérature épique médiévale, il est possible qu’elle en soit issue. Les subterfuges utilisés par Dame Carcas pour tromper les assiégeants se retrouvent dans les textes antiques et semblent plus tenir de l’archétype que de l’évènement historique. Mais qu’elle soit d’origine médiévale ou qu’elle provienne du XVIe siècle, la population locale s’est rapidement approprié la légende de Dame Carcas au point de l’associer symboliquement à leur ville sans occulter son appartenance au monde musulman.

Ça se passe où ?

Carcassonne est une commune française, préfecture du département de l’Aude dans la région Languedoc-Roussillon.

©Ooh collective, Carcassonne
©Ooh collective, Carcassonne

Un brin d’évasion

Kahina « prêtresse » est le surnom par lequel des historiens arabes désignent cette reine berbère du VIIe-VIIIe siècles de l’ère chrétienne. Selon les mêmes historiens, sont véritable nom serait Daylia fille de Matiya ben Tifan ou encore Damiya fille de Yunafik. Certains auteurs, pensent qu’elle était juive, à cause de sa tribu les Djerawa, qui selon Ibn Khaldûn, était largement judaïsée au 7 ème siècle. D’autres pensent qu’elle était chrétienne. Quoiqu’il en soit, Dihiya était une reine authentiquement berbère. Elle aurait régné près de 35 ans sur les Aurès et serait morte à 120 ou 127 ans. Cette longévité est peut-être exagérée mais dit un auteur, « pas invraisemblable quand on connaît la vigueur et la force des Berbères ». Ce serait la mort de Kusula, prince berbère, qui détermina la Kahina de rentrer en bataille contre les Arabes.

Le Gouverneur d’Egypte, « H’asân, écrit Ibn Khaldùn, demanda qui était le prince le plus redoutable parmi les Berbères, et ayant appris que c’était la Kahina, femme qui commandait la puissante tribu des Djerawa, il marcha contre elle et prit position sur le rebord de la rivière Miskiana. La rencontre eut lieu sur l’oued Nini, au Nord de Khenchla : les troupes berbères qui se trouvaient en aval se jetèrent sur les Arabes, et les lapidèrent.

En souvenir de cette défaite, les Arabes surnommèrent l’oued Nini, Nahr al bala’, la rivière des malheurs. Les épreuves ne faisaient que commencer….

Un brin d'histoire

« Le site de Carcassonne a joué à travers les siècles un rôle déterminant dans l'histoire du Languedoc. Oppidum de l'Age du Fer transformé au Ier siècle avant notre ère en ville romaine, la cité devint au XIe siècle la possession de la puissante vicomté Trencavel qui domine le Bas-Languedoc. Au terme de la croisade contre les Albigeois, la cité, dotée de fortifications nouvelles, devient l'une des places fortes emblématiques du pouvoir royal sur la frontière qui sépare la France et l'Aragon.

Avec le traité des Pyrénées en 1659 qui rattache le Roussillon aux possessions françaises, la cité perd cependant son rôle stratégique, laissant à l'abandon ses ouvrages défensifs. Au XIXe siècle, grâce à l'action des Carcassonnais et du service des Monuments historiques qui confia sa restauration à Eugène Viollet-le-Duc, l'ancienne forteresse a recouvré sa physionomie passée.

©Ooh collective, Carcassonne
©Ooh collective

Vers le VIIIe siècle avant J.-C., l’oppidium de Carsac est établi à deux kilomètres au sud de la cité actuelle. L'agglomération étendue sur les hauteurs d'un plateau sur plus de vingt hectares est protégée d'un fossé et d'entrées en chicane. Sous la pression d'un accroissement démographique, le site est réorganisé et agrandi vers la fin du VIIe siècle : un deuxième fossé complété par des levées de terre et des palissades en bois est alors aménagé pour assurer la protection de la nouvelle extension.
Sans que l'on en cerne les raisons réelles, l'oppidum de Carsac est abandonné au début du VIe siècle av. J.-C. pour être transféré sur la butte dominant la plaine de l'Aude. Les vestiges recueillis lors de fouilles archéologiques témoignent de l'occupation de ce site du premier Age du Fer jusqu'à la conquête romaine : murettes en pierre sèche, silos à grains, fours de potiers ou de bronziers. La découverte d'un mobilier abondant, plus particulièrement de céramiques (amphores, coupes, vases…) attestent l'activité de cette agglomération ouverte aux échanges commerciaux établis entre le pays audois et le bassin méditerranéen.

La fin du IIe siècle av. J.-C., l'agglomération désignée alors sous le nom de Carcaso est intégrée à la colonie de la Narbonnaise dont la fondation, en 118, constitue le premier jalon de la conquête romaine sur le sud de la Gaule. Ce petit centre administratif et commercial placé sur la voie d'Aquitaine devint dans le dernier quart du Ier siècle avant notre ère le chef-lieu de la colonie Julia Carcaso dont l'emprise occupe la partie occidentale du bassin audois. Les recherches archéologiques ont permis de préciser la morphologie de ce centre urbain dont la superficie est étendue au pourtour de la butte grâce à l'aménagement de puissants remblais, et au-delà vers le nord, le long de la route menant à Narbonne. Les vestiges de murs en blocs de grès, de parois recouvertes d'enduits et de sols ornés de mosaïques aux décors géométriques situent l'emprise de bâtiments antiques dont les orientations pourraient suggérer une trame urbaine orthogonale, propre à l'urbanisme romain.

Après la dislocation de l'Empire romain, Carcaso, devenue Carcasona, est placée sous la domination des Wisigoths dont le royaume s'étend à l'Espagne et à la Gaule du sud et de l'ouest. Après la victoire des Francs sur Alaric II à Vouillé en 507, les Wisigoths conservent la péninsule ibérique et la Septimanie (l'actuel Bas-Languedoc) sur la bordure nord de laquelle Carcasona demeure l'une des villes frontière. La ville devient au cours du VIe siècle, avec Agde et Maguelone, le siège d'un évêché que concrétise l'édification d'une cathédrale wisigothique dont l'emplacement n'est pas déterminé. Au VIIIe siècle, la conquête arabe triomphe des Wisigoths, mais dès 759 la ville est conquise par le roi des Francs, Pépin le Bref, qui s'impose alors dans toute la Septimanie. À ces événements se rattache la légende de Dame Carcas. L'administration du nouvel empire est placée sous l'autorité comtale installant à la tête du comté de Carcassonne des familles de lignages anciens : la dynastie des Oliba jusqu'au Xe siècle relayée par les Comminges-Couserans au XIe siècle. »

Ministère de la culture et de la communication / Centre des monuments nationaux. -La Cité de Carcassonne. -[réf. du 30 août 2011], [en ligne], disponible sur internet : http://www.carcassonne.culture.fr/

Un brin de poésie

Morena me llaman

de Gérard Zuchetto
Chanson accompagnant le film ci-dessus “la légende de Dame Carcas »

Morena me llaman
Yo blanca nací
De pasear galana
Mi color perdí
Dizime morena
Si queres venir
Los velos tengo fuera
No puedo venir
Morena me llama
El hijo del rey
Si otra vez me llama
Me vo yo con él

On m’appelle La Brune
Moi qui suis née  blanche
A force de balader
J’ai perdu ma couleur
Dis-moi La Brune
Si tu veux venir
J’ai les draps étendus dehors
Je ne peux pas partir
Il m’appelle La Brune
Le fils du roi
Si à nouveau il me demande
Je pars avec lui

©Ooh collective, Vue des remparts de Carcassonne
©Ooh collective, Vue des remparts de Carcassonne

Petit abécédaire

CARCASSONNE : Caracssona en occitan

PHILOMENA : secrétaire de Charlemagne, Philomena serait l’auteur de manuscrits du XIIIe siècle relatant la fondation de l’abbaye de Lagrasse par Charlemagne. Le siège de Carcassonne et la prise de la ville par Charlemagne sont mentionnés, évoquant qu’au passage de l’empereur, une des tours de la forteresse se serait inclinée.

PORTE DE L’AUDE : En bas de l’escarpement de la Cité, une muraille défendait le faubourg sur les bords de l’Aude. Cette muraille date du XIIIe siècle. Elle empêchait l’ennemi de se maintenir entre l’Aude et la Cité car elle était située à portée de jet des tours.

PORTE NARBONNAISE : La Porte Narbonnaise est l'ensemble le plus important de cette période : les deux énormes tours ont une forme en éperon. Une chaîne en gênait l'entrée. Assommoirs et herses se succédaient en un double dispositif de fermeture.

TOUR PINTE : selon la légende, la tour Pinte se serait inclinée au passage de Charlemagne.

VIOLLET-LE-DUC : Les liens de Viollet-le-Duc avec l’ancienne forteresse audoise se tissent dès 1834 lorsque Prosper Mérimée lui confie l’expertise de l’ancienne cathédrale Saint-Nazaire. Responsable d’une première étude sur la porte Narbonnaise en 1846, l’architecte est ensuite chargé de l’analyse complète des fortifications dont la restauration l’accompagne jusqu’à sa mort en 1879.

Sources

Ministère de la culture et de la communication / Centre des monuments nationaux. -La Cité de Carcassonne. -[réf. du 30 août 2011], [en ligne], disponible sur internet : http://www.carcassonne.culture.fr/

Article Dame Carcas, une héroïne sarrasine écrit par Sylvie Caucanas, directrice des Archives départementales de l’Aude

HADDADOU, Mohand Akli. -Les berbères célèbres. -Editions Berti (Alger), 2003

Liens utiles

Site la Cité de Carcassonne :http://www.carcassonne.culture.fr

Site de la ville de Carcassonne : http://www.carcassonne.org

Site de musicologie : http://www.musicologie.org

Site du Centre interrégional de développement de l’Occitan : http://www.locirdoc.fr

Site du Centre des monuments nationaux : http://www.monuments-nationaux.fr/

Site de l’Association Trob'Art Productions: www.art-troubadours.com

À écouter

Sandra Hurtado-Ròs / Gérard Zuchetto, Morena me Llaman, Otra Mar : sephardic and trobadors songs, Tròba Vox, 2010